En août 2023, le marché de la location courte durée en Europe a franchi une étape sans précédent. Un chiffre impressionnant de 53,7 millions de nuitées a été réservé, établissant un nouveau record du nombre de séjours sur un seul mois, selon la Revue du marché européen d’AirDNA. Cette hausse remarquable de la demande devrait, en théorie, annoncer une période de prospérité pour les hôtes. Pourtant, nombreux sont ceux qui dressent un tableau bien différent – une réalité de plus en plus morose et difficile.
Lors de notre analyse du mois dernier, nous avons examiné deux rapports contrastés d’AirDNA et de Key Data. Bien qu’étudiant des périodes similaires, ces rapports dressaient deux tableaux très différents du marché de la location de courte durée. AirDNA affichait des perspectives optimistes, alors que Key Data prévoyait un avenir plus prudent.
Pour comprendre cette contradiction apparente, nous nous sommes tournés vers un expert du secteur – Jamie Lane, économiste en chef et vice-président senior de l’analytique chez AirDNA. Notre objectif principal était de décrypter la cause de cette dissonance et d’offrir une vision plus claire de l’état actuel du marché.
Dans cet article, nous présentons les enseignements tirés de cette discussion enrichissante, qui illustre comment cette divergence souligne la complexité des dynamiques en jeu dans ce secteur.
L’Europe reste relativement saine alors que la demande s’envole

Malgré le ralentissement des économies européennes avancées, comme l’indique le Fonds monétaire international, le marché de la location courte durée semble faire exception. Le marché européen continue d’afficher une robuste demande, offrant une note d’optimisme au milieu de la décélération globale de l’économie.
La Revue d’août 2023 d’AirDNA révèle une hausse remarquable de la demande pour les locations de courte durée (STR) pendant la période estivale, culminant avec un nouveau record en août. Rien qu’au cours de ce mois, 53,7 millions de nuitées ont été réservées – le plus haut volume jamais enregistré sur un seul mois. Jamie Lane s’appuie sur ce chiffre pour affirmer que le marché européen des locations de courte durée est bel et bien en bonne santé.
Une croissance accélérée de l’offre, mais encore inférieure au niveau pré-pandémique
Au cours de l’année écoulée, le marché européen de la location de courte durée a connu une croissance significative de son offre, une tendance qui semble s’être accélérée au fil des mois. Selon la revue AirDNA d’août 2023, le pic d’offre de l’an dernier avait été atteint en juillet. Cette année, soutenus par une forte demande, les hôtes ont continué à ajouter de nouvelles annonces tout au long du mois d’août. Le nombre d’annonces disponibles a bondi de 12,9 % en un an (YOY) en août, ce qui marque une forte hausse par rapport à la croissance de 7,4 % YOY constatée en juillet.
Ces données suggèrent que, malgré le rythme impressionnant de la croissance de l’offre, celle-ci n’a pas encore totalement retrouvé son niveau d’avant la pandémie. Le potentiel d’expansion de l’offre subsiste, mais sa concrétisation pourrait être entravée par des contraintes réglementaires et le contexte économique général.
Pour la suite, il sera intéressant d’observer si le marché européen suit la tendance américaine de ralentissement de la croissance de l’offre, et comment cela s’articule avec la demande toujours soutenue.
Le ralentissement est plus marqué pour les gestionnaires professionnels que pour les petits hôtes
En 2021 et 2022, de nombreux gestionnaires professionnels ont exploité la tarification dynamique pour profiter de la demande florissante. Ils sont parvenus à augmenter sensiblement leurs prix, dépassant en cela les hôtes individuels. Cette stratégie a globalement porté ses fruits, les voyageurs étant alors disposés à payer des tarifs élevés pour leurs séjours. Les gestionnaires professionnels ont donc pu maximiser leurs revenus sur cette période.
Cependant, la situation en 2023 apparaît différente. Les voyageurs se montrent désormais moins enclins à régler des tarifs aussi élevés et le ralentissement de la croissance des revenus peut sembler plus marqué pour les gestionnaires professionnels, étant donné les rendements élevés enregistrés lors du pic de la demande. Toutefois, il convient de souligner que le ralentissement actuel ne signifie pas nécessairement un recul, mais plutôt un retour à des niveaux plus soutenables.
Une demande soutenue n’implique pas toujours des revenus plus élevés
Certains gestionnaires, en suivant les tendances tarifaires sur des outils tels que PriceLabs, ont choisi de revoir leurs prix à la baisse. Ainsi, ils parviennent à obtenir des réservations, mais à un Tarif Journalier Moyen (ADR) inférieur. Pour ces professionnels, malgré un ADR plus bas, le nombre de réservations reste stable, voire augmente, ce qui traduit ce que Jamie Lane qualifie de « demande saine ».
Cependant, il est important de noter que cela n’entraîne pas nécessairement une hausse de leur chiffre d’affaires. En effet, même si le volume de réservations reste stable ou croît, la baisse de l’ADR peut conduire à une stagnation, voire une diminution du revenu total.
Tout est relatif (à 2019 ?)
Dans un secteur aussi dynamique que la location courte durée, il est essentiel de comprendre que toutes les tendances et résultats sont relatifs. Cette relativité apparaît particulièrement lorsqu’on compare les performances des gestionnaires professionnels avec celles des hôtes individuels.
Une stratégie tarifaire rigide peut entraîner moins de nuitées réservées
Lors de l’entretien, Jamie s’est interrogé sur le fait que les gestionnaires professionnels semblent moins bien performer que les hôtes individuels. Une explication plausible pourrait résider dans leur politique tarifaire. Les gestionnaires qui n’ont pas abaissé leurs prix pourraient constater une baisse plus nette du nombre de nuitées réservées – le principal indicateur de « santé » selon Lane lors de la discussion.
Cependant, comme le souligne à juste titre Lane, ces observations sont toutes relatives. Par exemple, si la croissance paraît ralentir, les chiffres actuels restent bien supérieurs à ceux de 2019.
Cela dit, on peut estimer que comparer les données actuelles à celles d’il y a quatre ans n’offre pas une image très juste de la réalité, étant donné l’évolution rapide du marché depuis.
Des hausses marquées laissent place à des baisses marquées
Un autre point important concerne la provenance des données analysées. Les résultats de Key Data, par exemple, reposent sur un ensemble de produits comprenant une plus forte proportion de gestionnaires professionnels – une catégorie qui ne représente qu’une petite fraction de l’offre totale en Europe. Ce biais pourrait expliquer la vision plus pessimiste de ceux qui constatent des chutes plus fortes, surtout après une hausse tarifaire passée plus brutale.
Considérons à présent le cas où ces gestionnaires ajoutent davantage d’offres sur le marché. Si la demande reste solide, ils parviendront encore à enregistrer plus de nuitées réservées. Cette augmentation des réservations pourrait être un signe de « demande saine ». De plus, les nuits supplémentaires vendues via ces nouveaux biens permettent aux entreprises de maintenir, voire d’accroître leurs revenus.
Alors que le marché continue d’évoluer, il est crucial pour les gestionnaires de rester flexibles et attentifs à ces dynamiques changeantes. En fin de compte, la réussite de leur activité dépendra non seulement de l’état actuel du marché, mais aussi de leur capacité à anticiper et à s’adapter aux évolutions à venir.
Hôtes individuels/petits propriétaires : un scénario moins dramatique
À la différence de leurs homologues professionnels, les hôtes individuels n’avaient pas relevé leurs prix de façon spectaculaire lors du précédent boom. Résultat : ils se retrouvent aujourd’hui avec des tarifs suffisamment attractifs pour soutenir la demande, même dans un contexte d’incertitude.
Cette stratégie tarifaire leur a permis de conserver un taux d’occupation assez stable. Leur capacité à proposer une offre intéressante à prix compétitif continue d’attirer les voyageurs, ce qui leur permet de maintenir un flux constant de réservations.
Toutefois, il convient de rappeler qu’une « occupation stable » n’est pas synonyme de « rentabilité optimale ». Si le maintien de l’occupation reste important, les hôtes individuels doivent aussi surveiller leur ADR et le chiffre d’affaires global.
Toujours pas sortis d’affaire…
Malgré la demande apparemment saine sur le marché européen de la location courte durée, plusieurs facteurs incitent à l’optimisme mesuré et à la planification stratégique, aussi bien pour les gestionnaires professionnels que pour les hôtes individuels.
La croissance continue de l’offre : un motif d’inquiétude ?
L’une des tendances majeures est la progression continue de l’offre sur le marché. Le boom des locations de vacances de ces deux dernières années a clairement généré intérêt et investissements dans ce secteur. Étant donné le temps nécessaire pour investir et mettre à disposition un nouveau bien en location courte durée, bon nombre de ces investissements arrivent seulement sur le marché. Ainsi, 2023 connaît une troisième vague d’offres, déclenchée à l’origine par l’essor de 2021 et 2022.
Les gestionnaires professionnels ont réussi à maintenir leurs réservations grâce à l’ajustement de leurs tarifs. Toutefois, il est important de rappeler que ces acteurs ne représentent pas la majorité en Europe. Par conséquent, les hôtes individuels qui n’auraient pas adapté leurs stratégies pourraient avoir de mauvaises surprises.
Ralentissement de la croissance du taux d’occupation
Un autre point à surveiller concerne l’évolution des taux d’occupation. Jamie Lane remarque que ces taux ne sont plus orientés à la hausse comme auparavant. Certains mois ont même enregistré un recul du taux d’occupation à l’échelle européenne, ce qui pourrait indiquer un ralentissement de la croissance du marché.
Par ailleurs, les marchés qui avaient connu un boom rapide après le COVID, tels que Miami, la France ou le Royaume-Uni, ne progressent plus aussi vite. Miami, par exemple, a même enregistré une baisse en matière de croissance. Toutefois, si le rythme est en baisse, la plupart des marchés européens restent globalement sur une tendance positive.
Même si la demande semble forte sur le marché européen de la location courte durée, la stabilité n’est pas encore atteinte. L’augmentation de l’offre, l’évolution des taux d’occupation et le ralentissement de la croissance dans les marchés en plein essor soulignent tous l’importance de rester flexible et informé. L’évolution du marché impose aux hôtes comme aux gestionnaires une décision stratégique et une compréhension fine des dynamiques de marché pour bien s’y adapter.
Conclusion
Le marché européen de la location courte durée continue de faire preuve de résilience, avec une demande soutenue qui atteste de son attractivité. Si la baisse des Tarifs Journaliers Moyens (ADR) peut interroger, nous y voyons surtout le signe d’une stabilisation plutôt qu’un motif d’inquiétude.
Cependant, la hausse du nombre d’offres demeure une tendance à surveiller de près. Elle pourrait intensifier la concurrence, accentuer la pression sur les taux d’occupation et les prix.
Si ces observations offrent un panorama global, gardez à l’esprit que les dynamiques du marché varient selon les segments et types de biens. Il est donc essentiel d’analyser les données propres à votre marché et d’adapter vos stratégies en conséquence. La réussite dans cet environnement en mutation repose sur la prise de décisions éclairées, l’adaptabilité, et une compréhension approfondie de votre cible.
Uvika Wahi est rédactrice chez RSU by PriceLabs, où elle dirige la couverture de l’actualité et l’analyse destinées aux gestionnaires professionnels de locations saisonnières. Elle écrit sur Airbnb, Booking.com, Vrbo, la réglementation et les tendances du secteur, aidant les gestionnaires à prendre des décisions éclairées. Uvika intervient également lors d’événements internationaux majeurs tels que SCALE, VITUR et le Direct Booking Success Summit.




