Nous l’avons déjà vu : des réglementations capables de bouleverser l’ensemble des marchés de locations de courte durée. L’application récente à New York de lois strictes, la loi « anti-Airbnb » de la France, les projets de Barcelone de supprimer progressivement les licences, et les plafonds drastiques imposés par le Portugal sur la location de courte durée annoncent tous une évolution mondiale. Désormais, l’Italie fait sensation avec une interdiction de l’auto-enregistrement.
Mais voici le hic : ce n’est pas une nouvelle loi.
Selon Marco Celani, PDG de Italianway et président de l’AIGAB (Association italienne des opérateurs de location de courte durée), cette interdiction résulte d’une interprétation plus stricte d’une législation existante. La Circulaire 38138/2024 du Ministère du Tourisme, publiée le 18 novembre 2024, redéfinit l’application de l’Article 109 du Texte Unique des Lois sur la Sécurité Publique (TULPS). Ce règlement, qui exigeait déjà l’identification des voyageurs, considère désormais que l’auto-enregistrement n’est pas suffisant pour satisfaire aux exigences de sécurité publique.
Qu’est-ce qui change ?
Selon cette nouvelle interprétation :
- Identification obligatoire sur place : chaque voyageur doit être identifié en personne par le gestionnaire du bien à l’arrivée, ou au plus tard dans les 24 heures (6 heures pour une nuitée).
- Plus d’auto-enregistrement : bien qu’ils soient pratiques, les systèmes d’auto-enregistrement comme les serrures connectées et boîtes à clés ne satisfont plus aux exigences de sécurité publique.
- Boîtes à clés et surtourisme : l’utilisation de boîtiers à clés et dispositifs similaires est explicitement découragée, car considérée comme un « contournement » des procédures d’identification appropriées. Cela s’inscrit dans une volonté plus large de lutter contre le surtourisme, notamment dans les centres historiques comme Rome et Florence.
Le non-respect des exigences en matière d’identification des voyageurs (par exemple, l’absence d’identification en personne ou un signalement tardif des données des hôtes) peut entraîner des sanctions administratives et pénales.
Pourquoi cette interdiction ?
Le Ministère de l’Intérieur a invoqué des « risques pour l’ordre public et la sécurité » pour motiver ce règlement. La directive vise à :
- Empêcher que des biens soient occupés par des personnes liées à des activités criminelles ou terroristes.
- Répondre aux problématiques de surtourisme, notamment dans des villes comme Rome, soumise à une forte pression à l’approche du Jubilé de 2025, qui devrait attirer 30 à 35 millions de touristes.
- Renforcer la sécurité tout en préservant l’intégrité culturelle et historique de l’Italie.
Cependant, les critiques soutiennent que la charge opérationnelle repose entièrement sur les gestionnaires de biens.
Conséquences immédiates pour les gestionnaires immobiliers
Augmentation des coûts opérationnels
L’incidence la plus forte est financière :
- Enregistrement en personne : le personnel ou des prestataires devront être présents à chaque arrivée, ce qui pose des défis logistiques pour les gestionnaires disposant de plusieurs biens.
- Contraintes de conformité : les hôtes doivent vérifier l’identité des voyageurs et transmettre leur documentation aux autorités locales dans les 24 heures suivant l’arrivée.
Les grands opérateurs peuvent s’adapter, mais à quel coût
Les entreprises comme Italianway de Marco, bénéficiant d’opérations centralisées et de ressources, peuvent réorganiser leurs équipes et s’adapter à ces nouvelles exigences. Toutefois, cela s’accompagne d’une hausse significative des dépenses opérationnelles. Comme le souligne Marco, « Cette réglementation nous oblige à repenser l’allocation de nos ressources, et les coûts sont importants. »
Les petits opérateurs subissent une ‘interdiction opérationnelle’
Pour les petits acteurs dont les biens sont dispersés, la mesure est en réalité catastrophique. Beaucoup ne peuvent supporter le coût du personnel pour des enregistrements en personne sur plusieurs sites, et n’ont d’autre choix que de fermer ou de vendre à des groupes plus importants.
Défis pour l’expérience voyageur
Les voyageurs habitués à des arrivées fluides et numériques pourraient juger l’obligation de présence moins pratique, ce qui pourrait entraîner une baisse des notes de satisfaction et de récurrence. Les gestionnaires devront bien communiquer auprès des voyageurs pour fixer les attentes et limiter la frustration.
Un frein à la croissance
Pour les sociétés de gestion locative de grande taille (PMCs), la réglementation pourrait limiter leur capacité à croître. Ajouter de nouveaux biens au portefeuille nécessitera une analyse accrue des ressources à mobiliser pour respecter les contraintes d’enregistrement.
Comment l’interdiction pourrait remodeler le marché
Cette réglementation risque d’accélérer l’évolution de la composition du secteur de la location de courte durée, avec des conséquences majeures pour la diversité du marché :
- Consolidation : les petits opérateurs qui ne pourront absorber ces frais sortiront probablement du marché. Leurs biens pourraient être rachetés par de grands groupes capables de se mettre en conformité, renforçant la concentration du secteur.
- Perte de la dimension locale : les petits hôtes proposent souvent des logements uniques et personnalisés, ce qui contribue à l’offre locale. Leur disparition risque de favoriser des locations standardisées et uniformisées dominées par de gros acteurs.
- Moins d’opportunités pour les nouveaux entrants : les porteurs de projets ou jeunes entreprises qui souhaitent débuter pourraient trouver les barrières à l’entrée dissuasives, au détriment de la concurrence et de l’innovation.
La position de l’AIGAB et ses actions
Dans sa déclaration officielle, l’AIGAB s’oppose à la directive qu’elle juge déconnectée des progrès technologiques à disposition des gestionnaires professionnels :
- Parité technologique : des outils tels que SPID (utilisé pour la vérification d’identité numérique en Italie) ou les plateformes de location automobile appliquent les mêmes processus de vérification à distance. L’AIGAB s’interroge sur la spécificité imposée à la location de courte durée.
- Sécurité proactive : les gestionnaires professionnels s’appuient déjà sur des systèmes robustes pour détecter les voyageurs à risque et avertir les autorités en temps réel.
- Effet discriminatoire : la directive vise les opérateurs conformes, tout en laissant des acteurs illégaux continuer d’opérer sans contrôle.
L’AIGAB milite pour :
- L’acceptation d’outils de vérification d’identité à distance sécurisés.
- Un contrôle ciblé sur les opérateurs non-conformes plutôt qu’une restriction généralisée.
- Une rencontre avec le Ministère de l’Intérieur pour démontrer la capacité du secteur à garantir la sécurité publique.
Pourquoi les gestionnaires hors d’Italie devraient-ils s’en préoccuper ?
L’Italie est l’un des plus grands marchés touristiques au monde, et ses évolutions réglementaires servent souvent d’indicateur global.
- Précédent opérationnel : la directive montre comment des contraintes d’exploitation, et non seulement des interdictions totales, peuvent bouleverser tout un marché.
- Réponse au surtourisme : des villes confrontées au surtourisme partout dans le monde pourraient adopter des mesures similaires au nom de la sécurité publique.
- Anticiper l’avenir : comprendre et anticiper ces changements devient essentiel pour l’ensemble des gestionnaires professionnels.
Quelles actions pour les gestionnaires immobiliers ?
- Adapter les opérations sans délai
- Recruter du personnel supplémentaire ou externaliser la gestion des enregistrements en personne.
- Former les équipes sur les procédures de conformité pour fluidifier les process.
- Explorer des alternatives
- Militer pour l’acceptation des enregistrements par appel vidéo ou autres solutions sécurisées à distance.
- Exploiter des outils numériques pour simplifier la déclaration des invités.
- Communiquer de façon proactive auprès des voyageurs
- Actualiser les annonces pour refléter le nouveau processus d’enregistrement.
- Mettre en avant les aspects positifs de ces changements en insistant sur la sécurité accrue et la personnalisation du service.
- S’engager dans les efforts de plaidoyer sectoriels
- Collaborer avec des associations telles que l’AIGAB pour promouvoir des adaptations réglementaires équilibrées.
- Mettre en lumière les défis opérationnels et défendre des solutions adaptées à la réalité du terrain.
- Surveiller et anticiper des évolutions similaires
- Rester informé des autres évolutions réglementaires sur les marchés clés.
- Développer l’agilité opérationnelle pour s’adapter à tout changement futur.
À retenir
L’interdiction de l’auto-enregistrement en Italie ne relève pas uniquement de la conformité réglementaire : il en va de la survie des opérateurs. Les grandes entreprises sauront s’adapter, mais ces règles risquent de précipiter la sortie des petits hôtes, modifiant la diversité et l’accessibilité du marché.
Pour les gestionnaires professionnels, naviguer dans ce contexte demande de l’agilité, de l’engagement et un esprit d’innovation. Relèveront-ils ces défis en transformant les obstacles en opportunités et garantiront-ils l’évolution dynamique du secteur ? Le défi est lancé.
Uvika Wahi est rédactrice chez RSU by PriceLabs, où elle dirige la couverture de l’actualité et l’analyse destinées aux gestionnaires professionnels de locations saisonnières. Elle écrit sur Airbnb, Booking.com, Vrbo, la réglementation et les tendances du secteur, aidant les gestionnaires à prendre des décisions éclairées. Uvika intervient également lors d’événements internationaux majeurs tels que SCALE, VITUR et le Direct Booking Success Summit.




