L’histoire de Kristin Turner, une hôte Airbnb consciencieuse, met en lumière un problème émergent dans les politiques d’Airbnb qui suscite un grand nombre d’inquiétudes : la situation de la culpabilité par association. Malgré une réputation d’hôte irréprochable, elle a reçu un e-mail l’informant de son bannissement de la plateforme en raison de son association indirecte avec une personne ayant un casier judiciaire.
La série d’événements ayant conduit au bannissement de Turner a commencé par un acte de bienveillance : elle a souhaité aider le compagnon de sa mère à trouver un logement temporaire, créant involontairement un compte Airbnb à son nom. Turner ignorait les antécédents non violents de ce dernier. La conséquence fut dramatique : ses réservations en cours ont été annulées à la suite de son bannissement, la précipitant dans des difficultés financières et l’empêchant de rembourser son prêt hypothécaire.

Airbnb fonde sa réputation sur la création d’un climat de confiance au sein de sa communauté. Mais la société est-elle aujourd’hui engagée dans une logique de surveillance, avec des démarches qui rappellent le film « Minority Report » ? Entre les vérifications poussées des antécédents des futurs invités et les algorithmes sophistiqués qui prédisent de potentielles mauvaises conduites, l’approche d’Airbnb interpelle.
La dernière initiative d’Airbnb consiste à bannir les utilisateurs liés de près à des personnes déjà exclues de la plateforme, relançant le débat autour de la culpabilité par association. Avec le lancement du « Host Passport », Airbnb demande aux hôtes encore plus de données personnelles. Cette tendance ouvre un débat nécessaire sur les limites que doit respecter une entreprise privée lors de la collecte de données personnelles et lors de contrôles d’antécédents approfondis.
Le but de cet article n’est pas d’alimenter la panique mais d’offrir une pause réflexive. Il invite à réévaluer jusqu’où nous sommes prêts à laisser des géants privés comme Facebook, Airbnb ou Google franchir la barrière de la vie privée au nom de la sécurité, de stratégies commerciales plus efficaces ou de l’optimisation des profits.
Pourquoi Airbnb est dans le business de la confiance
Dans l’économie collaborative, les plateformes comme Airbnb doivent composer avec les attentes des hôtes et des voyageurs. Comme l’a rappelé au fil des années le PDG d’Airbnb, Brian Chesky, Airbnb est « dans le business de la confiance ». Les propriétaires redoutent les dégâts ou l’utilisation abusive de leurs biens, tandis que les voyageurs sont soucieux de leur sécurité dans les logements. Pour répondre à ces préoccupations légitimes, Airbnb a ajouté plusieurs niveaux de sécurité au fil du temps, tels que :
- Système d’avis mutuels : Les hôtes et les voyageurs peuvent laisser un avis réciproque après chaque séjour.
- Technologie anti-fête : Cet outil algorithmique sert à éviter les réservations à risque qui pourraient conduire à des fêtes non autorisées.
- Vérifications d’antécédents : Airbnb bannit hôtes et invités après contrôle des antécédents.
- Culpabilité par association : Les utilisateurs liés à une personne jugée à risque peuvent eux aussi être bannis.
- Airbnb Host Passport : Une nouvelle fonctionnalité qui collecte des données supplémentaires sur les hôtes ouvrant leurs chambres privées à des invités.
Cas récents de culpabilité par association
D’autres affaires récentes ont mis en lumière la politique de culpabilité par association d’Airbnb. Plusieurs utilisateurs ont reçu le fameux e-mail concernant la suppression de leur compte car ils sont « étroitement liés à une personne n’ayant pas le droit d’utiliser Airbnb », sans savoir précisément qui ni ce qui est reproché. De plus, il s’avère très difficile de faire appel, surtout quand Airbnb confie ce service à des prestataires externes.
Bethany Hallam, aujourd’hui élue et militante contre la drogue, également transparente sur son parcours personnel, a été surprise de voir sa réservation Airbnb annulée et son compte banni à la suite d’une ancienne condamnation judiciaire révélée par une vérification d’antécédents. Elle avait pourtant utilisé Airbnb sans problème pendant des années. En partageant son expérience sur les réseaux sociaux, Hallam a découvert que d’autres avaient subi le même sort.
Airbnb a fait face à une vive polémique après avoir banni par erreur les parents de la YouTubeuse controversée Lauren Southern. Southern, connue pour ses opinions d’extrême droite, a dénoncé Airbnb sur les réseaux sociaux après avoir appris que ses parents étaient interdits de réservation à cause de leur lien avec elle. Airbnb a reconnu son erreur et a rétabli le compte, présentant ses excuses aux parents de Southern.
L’approche d’Airbnb concernant les vérifications d’antécédents
Airbnb offre un marché où les hôtes louent leurs logements et des voyageurs y séjournent. L’entreprise reconnaît l’importance de garantir un environnement sûr et fiable. Pour ce faire, Airbnb procède à des vérifications d’antécédents sur les hôtes comme sur les invités dans le cadre de ses mesures de sécurité.
Ce processus commence dès la création du compte. Au moment de l’inscription, Airbnb réclame des informations telles que le nom complet, la date de naissance et une pièce d’identité officielle. Ces données sont ensuite transmises à des sociétés tierces spécialisées comme Inflection, qui réalisent les vérifications d’antécédents.
Ces contrôles servent à vérifier l’identité des utilisateurs et à les recouper avec diverses bases de données publiques. Il peut s’agir de vérifications du casier judiciaire, du registre des délinquants sexuels, ou, dans certains cas, des listes de sanctions internationales ou régionales.
L’acceptation croissante des vérifications d’antécédents aux États-Unis
Aux États-Unis, l’acceptation et le recours aux vérifications d’antécédents se sont fortement développés au fil des années, surtout depuis le 11 septembre. Les entreprises, employeurs et bailleurs y recourent couramment pour limiter les risques et garantir la sécurité — comme le fait Airbnb avec ses utilisateurs. Ces pratiques sont devenues la norme dans de nombreux secteurs, environ 90 % des employeurs et 80 % des bailleurs y ayant recours selon les estimations.
Le contexte européen et le RGPD
À l’inverse, l’Union européenne a édicté des règles plus strictes sur la confidentialité des données et le respect de la vie privée. Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) exige qu’une entreprise ait un motif valable pour traiter des données personnelles et que l’utilisateur soit informé de leur collecte et de leur usage. Les entreprises doivent par ailleurs s’assurer de la nécessité et de la proportionnalité de ce traitement. Si les vérifications d’antécédents existent aussi en Europe, elles sont encadrées par ces exigences, et d’autres, plus strictes encore.
Préoccupations concernant les prestataires de contrôles d’antécédents
Malgré leur rôle essentiel, les sociétés tierces réalisant ces contrôles ne sont pas infaillibles. Il existe des cas de faux rapports, souvent dus à des erreurs de bases de données, des homonymies, des erreurs de procédure ou des défaillances technologiques. Ces informations erronées peuvent exclure injustement des utilisateurs de la plateforme, ou à l’inverse, permettre à des personnes à risque d’y accéder sans contrôle.
La complexité de la situation tient aussi à la difficulté de contester ces rapports erronés. Dans de nombreux cas, la procédure d’appel est fastidieuse, opaque et lente, poussant des personnes à alerter les médias pour accélérer le règlement de leur dossier.
La notion de pré-crime : Airbnb rencontre Minority Report
L’idée de pré-crime fascine depuis longtemps, notamment à travers la science-fiction et l’auteur Philip K. Dick. Le film à succès « Minority Report » illustre l’exploration par Dick des mécanismes de pré-crime et de leurs enjeux éthiques. Au fur et à mesure que les technologies et la surveillance se développent, cette notion glisse du champ de la fiction vers la réalité.
Technologie anti-fête : prédire et prévenir les incidents
Un exemple marquant des mesures de pré-crime se trouve dans la technologie anti-fête d’Airbnb. Conçue pour repérer les logements susceptibles d’abriter des fêtes et prévenir les incidents, cette technologie s’appuie sur l’intelligence artificielle et l’analyse de données pour anticiper et empêcher ces comportements avant même qu’ils aient lieu.
En analysant divers facteurs tels que les habitudes de réservation, l’historique des invités ou les avis, cet outil cherche à prédire et signaler les annonces susceptibles d’accueillir des rassemblements perturbateurs. Par ces mesures préventives, Airbnb vise à préserver la tranquillité des hôtes comme du voisinage.
La question de la rédemption et des erreurs
Un point crucial soulevé par le pré-crime concerne l’absence de prise en compte de la rédemption, ou de la possibilité d’erreur et de manipulation. Dans « Minority Report » et d’autres œuvres de Philip K. Dick, on tient les individus responsables de crimes qu’ils n’ont pas commis, niant ainsi la possibilité d’évolution ou de transformation personnelle.
De même, les mesures préventives d’Airbnb, telles que les vérifications pilotées par Inflection, peuvent négliger le potentiel de changement et commettre des erreurs dans l’évaluation des personnes à partir de leur passé. Il est indispensable d’aborder la question de la rédemption, de reconnaître qu’il est possible de changer et d’apprendre de ses erreurs passées.
Le souci n’est pas tant le principe même des vérifications, mais le besoin d’intégrer un jugement humain et des dispositifs permettant aux personnes concernées de défendre leur cas et de faire appel en cas d’erreur ou de mauvaise évaluation dans ces mesures automatisées.
Culpabilité par association
La culpabilité par association pose un dilemme moral lorsque des individus sont tenus responsables ou subissent des conséquences en raison de liens avec d’autres personnes jugées à risque ou indésirables. Chez Airbnb, l’application de politiques qui bannissent les utilisateurs associés à des personnes signalées problématiques interroge sur l’équité et les possibles injustices involontaires.
Comprendre la culpabilité par association
La culpabilité par association revient à attribuer la faute ou un jugement négatif à une personne selon ses relations. Elle fait abstraction de l’autonomie individuelle et considère chaque individu responsable des actes d’autrui avec qui il est lié. Si, dans certains cas, l’association peut donner une indication sur la fiabilité d’une personne, son application systématique conduit à des résultats injustes et arbitraires.
La stratégie d’Airbnb : punir pour les actes d’autrui ?
Les politiques d’Airbnb, censées renforcer la sécurité et la confiance sur la plateforme, incluent l’exclusion des utilisateurs estimés liés à des personnes jugées à risque. Si l’intention peut être la protection, ces mesures soulèvent aussi des interrogations sur l’équité et la responsabilisation individuelle.
Encore une fois, cette technologie présente aussi des avantages : par exemple, elle permet de détecter des réseaux de prostitution réservant sous de fausses identités multiples.
Cependant, en sanctionnant des personnes sur la base de leurs relations, Airbnb risque de punir des utilisateurs innocents pour des actes commis par autrui. Cette approche fait abstraction des circonstances individuelles, de la possibilité de rédemption, et de la complexité des relations humaines.
Le Host Passport d’Airbnb : un outil de collecte de données
La fonction Host Passport d’Airbnb vise à renforcer le lien entre hôte et invité en encourageant les hôtes à partager des informations personnelles. Mais ce volume d’informations soulève des questions sur la protection de la vie privée et l’étendue des données partagées.
Présentation du Host Passport : créer du lien
Le Host Passport se présente comme une fenêtre sur la vie des hôtes, permettant aux invités d’en découvrir davantage sur leur personnalité et leurs expériences. L’objectif est d’instaurer une impression de familiarité et de développer un climat de confiance.
Type d’informations collectées : du basique à l’intime
Les hôtes sont invités à partager un large éventail d’informations, des plus basiques (nom, statut Superhost, commentaires d’invités) aux plus intimes, tels que parcours professionnel, formation, ou expériences de voyage antérieures.
Conséquences sur la vie privée : entre transparence et profilage
Si la transparence est une valeur clé dans l’économie collaborative, le partage massif d’informations comporte de nouveaux risques. L’agrégation de données variées peut aboutir à la constitution de profils très détaillés sur les hôtes, ce qui soulève la question du respect de la vie privée et des usages ultérieurs de ces données.
Sensibiliser les hôtes : conscience et contrôle sur les données partagées
Il est essentiel que les hôtes prennent conscience de la quantité d’informations partagées et des enjeux de confidentialité. Ils devraient garder la maîtrise de ce qu’ils choisissent de dévoiler et bénéficier de conseils clairs pour paramétrer efficacement leur profil.
Les limites de la surveillance par les entreprises
L’ampleur des informations collectées par Airbnb et leur usage pour prédire ou contrôler les comportements ouvrent un vaste débat sur la surveillance d’entreprise. Si les vérifications d’antécédents renforcent la sécurité, leur faille et les dérives potentielles posent question. Les critiques soulignent qu’autoriser des entreprises privées à jouer un rôle de « Minority Report », en anticipant et sanctionnant des délits présumés, est une pente dangereuse.
L’exemple du système de crédit social chinois, vilipendé pour les restrictions de voyage que subissent les personnes à faible score, est souvent cité. Airbnb, même sans le même contrôle public, possède aussi le pouvoir d’interdire le voyage à certains individus sur la base de ses propres algorithmes et critères opaques. Le manque de transparence et l’injustice potentielle de ces systèmes méritent une vigilance accrue.
En conclusion, à mesure que la surveillance s’intensifie chez Airbnb, il devient essentiel de questionner ses implications éthiques et les limites à ne pas franchir. En tant que propriétaires et gestionnaires, la sécurité de nos logements est cruciale. Mais sommes‑nous prêts à confier autant de données à une société privée et à lui permettre de limiter la mobilité d’autrui ? Ce parallèle entre surveillance d’entreprise et crédit social doit nous amener à réfléchir à l’influence croissante d’acteurs privés sur nos vies et nos libertés.
Thibault Masson est un expert reconnu en gestion des revenus et en stratégies de tarification dynamique dans le secteur de la location saisonnière. En tant que responsable du marketing produit chez PriceLabs et fondateur de Rental Scale-Up, Thibault aide les hôtes et les gestionnaires immobiliers grâce à des analyses concrètes et des solutions basées sur les données. Fort de plus de dix ans d’expérience dans la gestion de villas de luxe à Bali et à Saint-Barthélemy, il est un conférencier recherché et un créateur de contenu prolifique, capable de rendre simples des sujets complexes pour un public international.







