Les gestionnaires de biens et propriétaires de locations de vacances exercent des activités essentiellement locales. À ce titre, ils paient des impôts dans les villes, régions et pays où ils opèrent. L’histoire est différente pour les sites d’annonces de locations de vacances comme Airbnb et Booking : en Europe, les frais d’hébergement et commissions partenaires payés par les gestionnaires locaux transitent directement vers des pays appliquant une fiscalité plus faible, comme l’Irlande (taux d’impôt sur les sociétés : 12,5 %) pour Airbnb. Bien souvent, ces grandes entreprises parviennent à négocier des accords dits « de faveur », leur permettant de payer encore moins que le taux officiel. Ces sociétés bénéficient également d’avantages mis en place par les États pour attirer les géants du numérique. Par exemple, Booking.com obtient d’importantes déductions fiscales de l’État néerlandais : une partie de ses revenus y est taxée à 7 %, et non au taux habituel de 25 %, dans le cadre de règles destinées à encourager « l’innovation ».
Précisons-le : rien de tout cela n’est illégal. Cependant, les plateformes numériques subissent une pression croissante, fruit de nouvelles propositions, de réglementations et de préoccupations de l’opinion publique. Examinons :
- le sommet du G7 et son appel à un taux minimum mondial d’impôt sur les sociétés de 15 % ainsi qu’à ce que les multinationales paient davantage d’impôts là où elles offrent leurs services,
- le Digital Services Act de l’UE, qui pourrait voir Airbnb et Booking.com comme des gatekeepers entravant la concurrence et devant être encadrés,
- l’opinion publique, qui par exemple a poussé en juin 2021 Booking.com à rembourser les 65 millions € reçus en aide COVID-19 après la révélation d’une prime de 28 millions € versée à trois hauts dirigeants.
Taux minimal mondial du G7 à 15 % et pression pour que les multinationales paient plus d’impôts là où elles réalisent leurs ventes

Le sommet du G7 des 12 et 13 juin a abordé deux mesures susceptibles d’impacter les FAANG (Facebook, Amazon, Apple, Netflix, Google) ainsi qu’Airbnb et Booking.com :
Un taux mondial minimum d’impôt sur les sociétés de 15 % (→ le siège européen d’Airbnb est en Irlande, où le taux maximum est de 12,5 %)
Le communiqué final du G7 promet « un système fiscal mondial plus juste qui inverse la course au moins-disant fiscal ». Il reflète la volonté du président Biden d’instaurer un impôt minimal mondial. Les pays du G7 se sont accordés sur un minimum de 15 %. À noter que la mesure devra ensuite être inscrite dans la loi dans chacun de ces pays.
Les activités européennes d’Airbnb et TripAdvisor ont leur siège en Irlande, où le taux officiel est de 12,5 %. Les entreprises peuvent ou non avoir des accords de faveur qui leur permettent de payer moins. Le gouvernement irlandais considère cette orientation du G7 comme une menace pour ses intérêts nationaux.
Les multinationales devront payer des impôts dans leurs plus grands marchés (→ Airbnb et Booking vont-ils payer plus d’impôts en Allemagne et en France ?)
Les entreprises multinationales devraient payer davantage d’impôts là où elles vendent des produits ou services. Elles pourraient être imposées dans tout pays où elles réalisent plus de 10 % de marge bénéficiaire sur les ventes. Au-delà de ce seuil, elles devraient s’acquitter d’un taux d’imposition de 20 %. Cette mesure est soutenue par de grands pays comme la France et l’Allemagne, mais est impopulaire dans de plus petits pays comme l’Irlande, le Luxembourg et les Pays-Bas : l’argent y est généralement généré par les grands marchés, mais taxé par les petits.
Par exemple, en 2016, Airbnb n’a payé que 100 000 € en impôts en France alors qu’elle comptait plus de 10 millions d’utilisateurs dans le pays à l’époque. Hors secteur du voyage, prenons Facebook : selon la BBC, le réseau social, dont le siège international est à Dublin, n’a versé en 2018 que 28,5 millions £ d’impôts au Royaume-Uni, alors que ses revenus locaux s’élevaient à 1,65 milliard £.
Les marchés comme la France et l’Allemagne représentent une part importante des ventes d’Airbnb et Booking.com. La France est la destination n°1 d’Airbnb après les États-Unis, tandis que les plus de 80 millions d’Allemands sont de grands utilisateurs de Booking.com.
Une question clé : où la vente est-elle réalisée ? S’agit-il de l’endroit où se trouve l’invité ou de celui où est localisé le bien ? Booking.com et Airbnb pourraient différer sur ce point.
- Booking.com ne facture pas de frais à l’invité. La commission est payée par l’hôte / partenaire. L’entreprise se présente souvent comme un canal publicitaire pour hôtels et locations de vacances. Il serait donc logique que les revenus issus de réservations de biens français soient considérés comme français.
- Airbnb propose deux modèles : son modèle à 15 % de frais pour l’hôte seul est similaire à Booking.com. Mais le modèle à frais partagés, où l’hôte paie 3 à 5 % et l’invité en moyenne 14,2 %, est différent. Des pays comme la France, qui pèsent pour Airbnb à la fois par l’offre et la demande, pourraient dépasser le seuil des 10 % de ventes déclenchant une imposition locale.
De l’UE avec amour : Airbnb et Booking.com face au Digital Services Act et à la nouvelle taxe numérique

L’Union européenne s’intéresse aussi à la fiscalité des entreprises numériques. Elle souhaite également réguler les FAANG, et potentiellement Booking.com et Airbnb, considérés comme des gatekeepers concentrant trop de pouvoir et freinant la concurrence.
Pour les gestionnaires de biens et les propriétaires individuels, l’impact peut sembler lointain. Qui pourrait s’opposer à une concurrence loyale ? Pourtant, ces nouvelles réglementations pourraient entraîner :
- Davantage de complexité pour les hôtes publiant leurs biens sur les grandes plateformes. Si vous êtes européen, vous vous souvenez peut-être qu’Airbnb et Booking.com vous ont demandé, début 2020, si vous étiez un hôte particulier ou professionnel, en raison de nouvelles règles de la Coopération pour la protection des consommateurs de l’UE. Il pourrait leur être demandé de partager davantage de données.
- Les collectivités et gouvernements auront probablement un accès élargi aux données des hôtes détenues par les grandes plateformes. Les villes poussent Airbnb et Booking à fournir davantage d’informations sur les hôtes, la durée des séjours, les revenus, le nombre total de nuits réservées par hôte, etc.
Airbnb et Booking.com : des gatekeepers qui empêchent des marchés numériques ouverts et équitables ?
Le Digital Services Act et Digital Markets Act forment un ensemble de nouvelles règles applicables dans toute l’UE pour soi-disant créer un espace numérique plus sûr et plus ouvert.
Le Digital Markets Act comprend des règles pour les plateformes en ligne gatekeeper. Les plateformes gatekeepers sont des plateformes numériques ayant un rôle systémique sur le marché intérieur et agissant comme des goulots d’étranglement entre entreprises et consommateurs pour des services numériques importants. Booking.com et Airbnb pourraient être considérés comme gatekeepers, selon la façon dont on définit ces marchés numériques.
Lors de la présentation du projet de Digital Markets Act par l’UE, voilà comment EuroCities, une coalition de villes européennes, a interprété le texte :
- Les administrations pourront obliger les plateformes à agir contre les contenus illégaux – par exemple, la publicité illégale de logements de courte durée,
- Les administrations pourront imposer des obligations de partage de données aux intermédiaires afin de surveiller le respect des lois de l’UE, nationales et locales.
- La réglementation ouvre la voie à la création de codes de conduite spécifiques entre collectivités locales et grandes plateformes en ligne, afin d’assurer des arrangements de coopération appropriés.
Réponse d’Airbnb au Digital Services Act : nous ne sommes pas une plateforme publicitaire et ne surchargeons pas les hôtes de paperasse
En juin 2021, Airbnb a publié une mise à jour de 6 pages sur sa position vis-à-vis du Digital Services Act. Entre autres arguments, Airbnb estime que ce texte doit définir les « Very Large Online Platforms », ou VLOPs. L’entreprise considère que les grands sites comme Google et Facebook, dont les revenus proviennent de la publicité, ont un modèle différent de ceux comme Airbnb et Booking, qui gagnent de l’argent via des commissions sur les transactions : leurs obligations ne devraient donc pas être identiques.
Pour une plateforme générant des revenus uniquement via des transactions, comme Airbnb, un « destinataire actif »
doit s’entendre comme les hôtes et invités réalisant effectivement une transaction (c’est-à-dire effectuant une réservation) sur la plateforme. Les personnes ne faisant que visiter ou effectuer une recherche sur la plateforme ne devraient pas être considérées comme « destinataires actifs » du service Airbnb. Les plateformes basées sur la publicité créent de l’influence et de la valeur en raison des visites et vues du site, pas des transactions. Cette distinction doit se refléter dans la définition de “destinataire actif” pour offrir une plus grande clarté juridique, et pour une application proportionnée des obligations de diligence selon la taille et la portée de la plateforme.
Airbnb souhaite également que la loi ne submerge pas les hôtes individuels de nouvelles obligations déclaratives et de collecte de données. Sans quoi, cela pourrait décourager les non-professionnels de publier leurs logements.
Les exigences de collecte de données dans le cadre du DSA doivent rester limitées aux opérateurs actifs sur notre plateforme — comme le prévoit la proposition de la Commission. Imposer la collecte de toute une série de données sensibles de la part de tous les hôtes (professionnels comme non-professionnels) fournirait une charge excessive à ceux qui louent leur logement de façon occasionnelle, et pourrait décourager les hôtes non-professionnels de publier ou de louer leur bien sur la plateforme.
La position de Booking.com sur le Digital Services Act : agir plus fort contre les hôtes illégaux
Booking.com considère que le texte n’est pas assez ambitieux, du moins pour ce qui concerne la question des « locations de vacances illégales ».
Sur son blog, l’équipe Affaires publiques de Booking.com commence par affirmer :
Le pouvoir accordé aux autorités nationales (ou locales) d’ordonner aux plateformes de supprimer des contenus illégaux (article 8) et d’exiger la transmission d’informations (article 9) est un pas dans la bonne direction. Cependant, des failles dans l’application de la loi demeurent. Lorsque la location de vacances est soumise à un régime d’autorisation/enregistrement, les plateformes devraient être tenues de s’assurer que seuls les biens dûment enregistrés/agréés sont listés. Cela correspond au devoir de vigilance incombant aux plateformes.
Devinez quelle plateforme pointée du doigt pour laisser faire des « hôtes illégaux » Booking.com a en tête ? Un indice : ça commence par Air et finit par BnB.
Comme Airbnb, Booking.com estime que :
- le texte devrait traiter de façon différente les modèles économiques à commission (c’est-à-dire Booking.com et Zalando) et ceux reposant sur la publicité
- la définition de Very Large Online Platforms (VLOPs) est trop vague.
Une nouvelle taxe européenne : la taxe numérique
L’objectif de la taxe numérique est d’assujettir les entreprises du numérique, dont le modèle peut leur conférer des avantages indus face aux secteurs traditionnels.
Nous n’entrerons pas ici dans les détails, mais il s’agirait d’une nouvelle taxe pour des sociétés telles qu’Airbnb et Booking.com.
Pression populaire / populiste sur Airbnb et Booking.com ?

Les gestionnaires de biens et les villes adorent détester Airbnb et Booking. Mais l’opinion publique peut aussi tourner contre les grands sites d’annonces de locations de vacances. Les critiques internationales soulignent que les États se livrent concurrence pour attirer les grandes sociétés, au point de baisser leur fiscalité. Pourtant, l’opinion publique nationale, au sein de ces pays, n’est pas forcément fan des géants du numérique.
Par exemple, Booking.com, dont le siège mondial est à Amsterdam, n’est pas toujours très populaire auprès de la presse néerlandaise. Pour de bonnes et de mauvaises raisons.
Booking.com rembourse l’aide publique après l’attribution de 26 M€ de primes à trois dirigeants
Au printemps 2020, Booking.com a choisi de solliciter une aide d’État au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. La pandémie frappait durement les revenus de réservation. L’État néerlandais a versé 65 M€ à Booking.com, censés aider à payer les salaires. Déjà à l’époque, la presse néerlandaise voyait d’un mauvais œil une entreprise « riche », soupçonnée de deals fiscaux avec les autorités, recevoir de l’argent public.
En mai 2021, Booking Holdings, la maison-mère de Booking.com, a révélé que la rémunération totale du trio de son conseil d’administration américain avait atteint plus de 28 millions d’euros en un an. Environ 5,8 millions d’euros en actions et cash sont allés au PDG Glenn Fogel, et 2,8 millions d’euros au vice-président Peter Millones. Près de 20 millions d’euros, majoritairement en actions, sont allés au directeur financier David Goulden.
La presse néerlandaise, de tous bords, a été très critique sur ce sujet. Il a même été débattu publiquement au Parlement néerlandais. Début juin, Booking.com a décidé de rembourser les 65 millions € reçus en aide d’État.
Conclusion : pourquoi Airbnb et Booking.com investissent tant dans les affaires publiques
L’enjeu est de taille pour les grandes plateformes si les multinationales du numérique se voient imposer davantage. Airbnb tient à souligner ses efforts pour répondre aux préoccupations du public.
Par exemple, la société a récemment lancé The Great Rebalance of European Travel, une série d’engagements visant à travailler avec les communautés européennes pour rééquilibrer le tourisme après la pandémie. Elle soutient même la régulation des locations à court terme et entend éviter le retour du surtourisme.
Airbnb met également en avant son City Portal pour accompagner tout futur cadre réglementaire harmonisé, et l’introduit déjà dans plusieurs destinations en Europe.
Les grandes plateformes comprennent qu’elles doivent avoir voix au chapitre dans la production des réglementations. Les gestionnaires de biens et hôtes doivent aussi s’intéresser à l’usage des frais qu’ils paient et qui, in fine, alimentent le succès des géants numériques.
Thibault Masson est un expert reconnu en gestion des revenus et en stratégies de tarification dynamique dans le secteur de la location saisonnière. En tant que responsable du marketing produit chez PriceLabs et fondateur de Rental Scale-Up, Thibault aide les hôtes et les gestionnaires immobiliers grâce à des analyses concrètes et des solutions basées sur les données. Fort de plus de dix ans d’expérience dans la gestion de villas de luxe à Bali et à Saint-Barthélemy, il est un conférencier recherché et un créateur de contenu prolifique, capable de rendre simples des sujets complexes pour un public international.




