Lors d’une interview avec Andy Serwer, Brian Chesky a livré une analyse très intéressante et détaillée que les gestionnaires de locations saisonnières, les hôtes Airbnb et les opérateurs de locations courte durée devraient lire. Voici les grands thèmes abordés lors de cette interview :
- Comment les voyages ont changé en 2020 (par exemple, les voyages internationaux et d’affaires seront impactés pour longtemps),
- Quelles activités Airbnb a cessé ou suspendu (par exemple, Airbnb Luxe et Airbnb Plus) pour se concentrer sur les logements et les expériences,
- Pourquoi il a réorganisé l’équipe dirigeante à la suite de cette approche plus ciblée (accent plus fort sur l’expérience d’hébergement, notamment pour les hôtes individuels plutôt que pour les grandes sociétés de gestion immobilière),
- Comment les chiffres d’affaires d’Airbnb en 2020 rivalisent désormais avec ceux de 2019, alors que les coûts, comme la publicité, ont été drastiquement réduits,
- Quelles ont été les décisions les plus difficiles pendant la crise (c’est-à-dire rembourser les clients, au détriment des hôtes, et licencier 1 900 employés),
- Pourquoi Airbnb songe à nouveau à entrer en bourse,
- Ce que fait Airbnb pour contribuer à la justice sociale et raciale.
Vidéo : Le PDG d’Airbnb Brian Chesky dans « Influencers with Andy Serwer »
Transcription de l’interview : Le PDG d’Airbnb évoque comment la pandémie de coronavirus a « changé le voyage à jamais »
Andy Serwer :
Incapable de payer ses factures, Brian Chesky a commencé à louer un bout de sol de son appartement, proposant à ses invités un matelas gonflable pour dormir. Il a appelé cela Air Bed and Breakfast, et ainsi Airbnb est né. Aujourd’hui, la société a hébergé plus de 750 millions de voyageurs dans plus de 220 pays à travers le monde. Ensemble, lui et ses cofondateurs ont bouleversé le secteur du voyage, forçant les chaînes hôtelières historiques à se réinventer, et contribuant à créer une nouvelle forme de tourisme. Dans cet épisode de « Influencers », je discute avec Brian Chesky, PDG d’Airbnb, de sa vision du futur et de pourquoi il affirme que le voyage ne sera jamais plus le même.
Andy Serwer :
Bonjour à tous et bienvenue dans « Influencers ». Je m’appelle Andy Serwer. Et bienvenue à notre invité, Brian Chesky, qui est le cofondateur et le PDG d’Airbnb. Brian, ravi de vous voir.
Brian Chesky :
Merci Andy, ravi de vous voir également.
Andy Serwer :
Alors je vais commencer par la grande question générale. Qu’avez-vous ressenti quand le coronavirus a commencé à se développer et que vous avez pris conscience de l’impact sur l’entreprise et le secteur ?
Brian Chesky :
Nous avons lancé la société il y a plus de dix ans et je pensais que c’était déjà l’expérience la plus folle de ma vie professionnelle. Pendant de nombreuses années, je me suis dit que je ne vivrais probablement jamais rien d’aussi fou que le lancement d’Airbnb. Et en mars, je pense que nous avons vécu cela. Nous avons mis 12 ans à bâtir notre entreprise, et en six semaines à peine nous en avons perdu environ 80%. Et lorsqu’un business chute à ce point, non seulement on a l’impression de perdre tout ce qu’on a construit, mais tout commence à casser. N’est-ce pas ? Tout à coup, les clients réclamaient plus d’un milliard de dollars de remboursements. Et vous ne pouvez pas vraiment anticiper les remboursements liés à une pandémie, car les gens comptent sur cet argent pour payer leur loyer ou leur crédit immobilier. On se sentait comme sur un navire pris dans la tempête. C’était extrêmement intense. J’ai eu l’impression que tout s’effondrait en même temps.
Andy Serwer :
En ce moment, la situation est toujours compliquée. Soyons honnêtes, car il semblait que nous étions sur la voie de la reprise, n’est-ce pas ? Et puis, soudain, on assiste à une résurgence. Et on comprend aussi à quel point chaque État, c’est toujours été ainsi, mais encore plus aujourd’hui, pose ses propres problèmes. Où en êtes-vous actuellement ? Et peut-être plus important encore, comment envisagez-vous l’avenir et la gestion de tout cela ?
Brian Chesky :
Oui. Andy, c’est important de souligner qu’Airbnb est présent dans environ 190 pays. Donc, on observe un peu l’expérimentation des différentes approches des pays, car nous avons une très forte présence en Italie, qui a connu un énorme pic en même temps que les États-Unis. Et maintenant, l’Italie semble un peu différente. Aux États-Unis, on a observé une reprise initiale. Et je pense que maintenant cela va ralentir. Mais ce qu’on constate, c’est que la manière de voyager a totalement changé. Avant le COVID, les gens voyageaient beaucoup pour affaires. Ils prenaient l’avion, traversaient les frontières, allaient dans les grandes villes. Et dans ces villes, ils logeaient dans les quartiers d’hôtels centraux.
Mais, désormais, tout a changé. Les gens disent qu’ils veulent sortir de chez eux, peu importe le pays. Ils ont vraiment ce besoin, mais ils n’ont plus vraiment envie de prendre l’avion. Ils veulent prendre la voiture, voyager à moins de 300 km ou 200 km, l’équivalent d’un plein d’essence. Ils partent pour le loisir, évitent les grandes villes, cherchent la campagne, veulent être dehors, découvrir des communautés rurales. Et surtout, ils veulent loger dans des maisons. Cela a été une réelle surprise, surtout l’ampleur de la demande de retour. Je veux dire par là que ces dernières semaines, nous avons vu les volumes d’activité revenir à ceux d’il y a un an. En avril ou début mai, jamais je n’aurais imaginé un tel rebond.
Et il y a peut-être une demande refoulée. On en voit les effets. Autre point, les gens s’installent temporairement dans d’autres logements. Le télétravail devient travail depuis n’importe quel logement : ils réservent donc plus longtemps, parfois pour tout l’été. Mais, je pense que la reprise sera saccadée et que cela va durer très longtemps. Sûrement plus pour les États-Unis, car la gestion a été très peu coordonnée. Et, encore une fois, avec nos 190 pays, on observe en direct ce qui se passe partout.
Andy Serwer :
Donc, comment faites-vous évoluer votre business, Brian, si vous observez que les gens cherchent des destinations rurales, proches des centres urbains ? Et peut-être aussi que les séjours sont plus longs, voire sur un mois entier pour télétravailler. Est-ce bien ça ? Et comment changez-vous vos offres ?
Brian Chesky :
Oui, il y a vraiment le court terme et le long terme.
À court terme, nous nous concentrons surtout sur deux choses. D’abord, les séjours à proximité : les personnes cherchant à loger dans une maison à quelques centaines de kilomètres de chez eux, dans des communes plus petites où ils se rendent en voiture. Souvent pour des séjours plus longs, parfois pour tout un mois ou même tout l’été. Et surtout dans des lieux uniques, spéciaux, hors du commun. C’est le focus du court terme. Deuxième focus : les expériences en ligne. Nous avons cette offre d’expériences, mais comme on ne peut pas regrouper les gens, nous avons lancé des expériences en ligne. Par exemple, 100 athlètes olympiques proposeront des expériences en ligne dans quelques semaines, à la période où les Jeux olympiques auraient dû se tenir à Tokyo. Beaucoup d’athlètes doivent financer eux-mêmes leur entraînement, ils ne sont pas sponsorisés. C’est donc pour eux une source importante de revenus, et nous voulons connecter les athlètes. Voilà donc le court terme : séjours à proximité et expériences en ligne comme avec les athlètes olympiques.
Mais il y a aussi une transformation bien plus grande qui s’opère. Car le COVID a été une expérience bouleversante et traumatisante, très dure pour beaucoup de personnes. Je pense que la pandémie a été une forme de remise à zéro pour beaucoup d’entre nous. Une remise à zéro aussi pour nous. Quand on commence à tout perdre, qu’on traverse une crise, on se demande : « Qui voulons-nous être ? Qu’est-ce qu’on ne veut pas perdre ? À quoi tenons-nous vraiment ? Si on ne garde que l’essentiel, qu’est-ce qui fait qu’Airbnb vaut la peine d’exister ? Pourquoi les gens voudraient nous soutenir ? » On s’est souvenu de ce qu’il y avait de spécial à nos débuts : ce n’était pas juste un endroit où dormir, c’était vraiment une histoire de rencontres et de connexions humaines. Ce n’était pas pour tout le monde.
Mais si vous étiez curieux et ouvert, vous pouviez aller dans une autre communauté et rencontrer des gens, même sans les croiser. On pense que c’est ça, notre ADN. On veut revenir à nos racines. Et cela signifie arrêter de faire beaucoup de choses que nous faisions auparavant, quand nous avions de l’abondance. Je crois que revenir à ses valeurs, à l’essentiel, à ce qui nous distingue le plus, ce n’est jamais mauvais. Même si, sur la lancée, on a l’impression d’être sur un train fou depuis des années. Mais ce moment est un peu une pause, un moment pour se dire « OK, on va se recentrer ».
Andy Serwer :
Qu’allez-vous arrêter de faire ?
Brian Chesky :
Nous avons fortement réduit un grand nombre de projets.
- Nous avons toujours une offre hôtelière, HotelTonight, dont je suis très fier. Mais nous avons réduit le plan d’expansion ambitieux, et nous allons vraiment nous concentrer sur la sélection de cette offre.
- Nous avons un produit de luxe, que nous n’étendons plus autant.
- Pour les voyages d’affaires, nous avons réduit la voilure. On peut toujours utiliser Airbnb pour raison professionnelle, mais il n’y aura plus de gros accompagnement entreprise : ce sera plus en libre-service.
- Airbnb Plus est désormais en pause.
- Nous avons suspendu nos efforts dans les transports. Nous avions une solution excitante pour réserver un vol sur Airbnb, c’est en pause.
- Nous avons mis en pause les contenus.
- Et pour certaines très grandes sociétés de gestion qui nécessitaient des outils supplémentaires, nous ne ferons plus autant d’efforts de support. Voilà.
Au total, nous avons suspendu plus de la moitié de nos projets. C’est un vrai recentrage pour l’entreprise. Ce qui est enthousiasmant, c’est que malgré ces pauses, l’activité peut quand même revenir. C’est sans doute la preuve que nous avons construit sur des bases solides.

Andy Serwer :
C’est fascinant. Vous avez toujours, d’une manière ou d’une autre, été en concurrence avec les hôtels traditionnels. Pensez-vous que le COVID a changé ce paysage concurrentiel en accordant à l’un ou l’autre un avantage ?
Brian Chesky :
Difficile à dire. Voici ce que je pense. Le voyage est changé à jamais. Le monde du voyage tel qu’on le connaissait en janvier ne reviendra jamais. Il ne reviendra jamais, j’en suis certain. Ce que je ne peux pas dire, c’est ce qui reviendra, c’est deviner l’avenir. Mais il est facile d’imaginer que des centaines de millions de gens ont expérimenté Zoom, et ont compris qu’ils n’ont plus besoin de voyager pour travailler. Des gens voyageront de nouveau pour le travail, mais pas autant. Beaucoup vont réaliser qu’ils peuvent faire autrement. Toutes ces personnes qui pensaient devoir prendre l’avion pour une ville et loger au centre, vont se dire « il y a 400 parcs nationaux aux États-Unis. Et si j’en visitais un près de chez moi ? ». On ne peut pas désapprendre tout cela.
À mon avis, le voyage va passer du tout business, grandes villes et quartiers centraux, à du loisir vers de petites localités proches. C’est une grande tendance. Quelle sera l’ampleur de ce changement ? Je ne sais pas, mais il va arriver, et ce sera irréversible. Le tourisme de masse, ceux qui font la queue pour se prendre en selfie devant les monuments, ne va pas disparaître, mais s’amoindrir. Car une nouvelle génération recherche une expérience plus authentique. Je crois que c’est là que ça va.
Andy Serwer :
Soutenez-vous ou vous opposez-vous aux restrictions de voyage mises en place par des gouverneurs comme Andrew Cuomo à New York à l’encontre des voyageurs issus d’États plus touchés, Brian ?
Brian Chesky :
Je pense que c’est forcément du cas par cas. Notre principe est de traiter chaque ville et pays de façon unique. On essaie de collaborer avec les collectivités locales pour nous assurer que nous respectons leurs choix. Si on nous le demande, par exemple, nous avons fermé beaucoup d’Airbnb au Royaume-Uni lorsque la population ne voulait pas de déplacements. Nous l’avons fait à Londres et autour de la ville. On essaie de s’adapter à chaque localité, d’apprendre les particularités. Éviter une approche unique pour tous. Voilà comment on gère cela.
Andy Serwer :
Vous avez récemment envoyé une lettre à vos employés à propos d’un remaniement du management. Pourriez-vous nous en dire plus ? Et vous avez parlé à vos employés également.
Brian Chesky :
Oui. Encore une fois, lorsque le COVID est arrivé, le monde a changé, les voyages ont changé, et Airbnb a dû changer. Cela voulait dire que notre stratégie devait changer. Nous avons dû revenir aux fondamentaux, à nos racines. Cela impliquait aussi une réorganisation de l’équipe dirigeante. Au lieu d’être dans une expansion générale, nous avons resserré le focus, et nous nous sommes demandé : « Qu’allons-nous vraiment offrir ? » Nous sommes revenus à « l’art d’accueillir ». Nous avons regroupé le pôle logements et expériences sous une seule direction. Nous avons choisi Catherine Powell, ex-Disney (15 ans, direction Disneyland Paris, Disney World, Disneyland).
Elle a géré 120 000 employés chez Disney, créant de la magie chaque jour. C’est très proche de l’hospitalité des hôtes. On voulait privilégier la communauté, et la place de marché en second. Nous l’avons ainsi nommée sur le pôle hosting. Et pour revenir à nos racines et ce qui fait notre différence, il nous fallait en parler différemment, penser notre marketing, être moins dépendants de l’acquisition payante. Nous voulons raconter notre histoire, générer plus de trafic direct vers Airbnb. Nous avons nommé Hiroki Asai à la tête de tout le marketing, ancien d’Apple (18 ans, du lancement de l’iMac à l’Apple Watch).
Ce sont les deux grands recrutements pour accélérer notre stratégie.
Andy Serwer :
Brian, cela me rappelle cette phrase de Rahm Emanuel : « Ne laissez jamais une bonne crise être gâchée. » Était-ce un peu le cas ici ? Peut-être que ce n’est pas une opportunité, mais une occasion de repenser, de recentrer et même de rediriger l’entreprise ?
Brian Chesky :
En période de crise, plusieurs chemins sont possibles. Beaucoup dépend de l’état d’esprit. On peut voir la crise en se disant : « Mon Dieu, nous venons de perdre 80% de notre activité, pourquoi moi ? » Ou bien : « Comment puis-je apprendre, et m’améliorer ? » Pour nous, la question, c’était : « Comment nous comporter dans la crise, pour qu’on se souvienne de nous comme ayant suivi des principes ? » Que les gens soient d’accord ou non, on voulait des décisions avec des principes. Deuxième point : utiliser ce moment comme tremplin : « Maintenant, où va-t-on ? » Quand on traverse une crise, il y a cette phase d’introspection : « Qu’est-ce qui nous importe ? » C’est ce que nous essayons de faire.
J’espère que dans quelques années nous dirons que ce fut le moment où l’entreprise est revenue à ses fondamentaux, est devenue bien plus concentrée, et en est sortie renforcée. C’est ce que j’espère. Je ne veux pas avoir l’air opportuniste, mais je crois qu’il faut profiter de ces moments difficiles pour faire plus que ce qu’on attend de vous, pas moins. Et que ce soit l’occasion de clarifier ce qu’on représente. Il est acceptable de ne plus tout faire comme avant.
Andy Serwer :
Évidemment, je dois vous interroger à propos de l’introduction en bourse. Le New York Times a rapporté que vous avez dit en réunion : « On ne s’engage pas à devenir public cette année, mais on ne l’exclut pas non plus. » Pouvez-vous en dire plus ? Qu’est-ce que cela implique pour vous d’entrer en bourse ? C’est étrange : l’économie est incertaine, mais les marchés sont robustes.
Brian Chesky :
Oui. En janvier, je pensais revenir des vacances en vue d’une entrée en bourse cette année. En mars, nous travaillions sur l’S1. Et soudain, tout le secteur du voyage s’est quasiment arrêté. Nous avons mis le document de côté. Récemment, nous l’avons repris pour reprendre le travail et être prêts à devenir publics. Mais nous ne voulons pas entrer en bourse si le monde n’est pas prêt. Si les gens sont nerveux sur les voyages, s’ils ne comprennent pas Airbnb, alors ce n’est pas encore le moment. Mais maintenant, avec la reprise, notre activité revient à son niveau de 2019, sans quasiment dépenser un dollar en publicité, c’est un signe très positif. Nous voulons donc être prêts dès que le marché le sera. Je pense que le marché veut encore voir comment cela va évoluer.
Donc je ne veux pas exclure 2020, mais je n’affirme pas non plus que ce sera pour cette année, car tout peut changer très vite. Je n’aurais jamais imaginé en quelques mois ce qui s’est passé. Le mieux est d’être prêt.
Andy Serwer :
C’est vraiment étonnant que vous puissiez dire que vos chiffres sont aussi bons qu’avant, aussi bons que l’an dernier à la même période…
Brian Chesky :
Oui. Ce ne sont pas les niveaux auxquels nous serions arrivés si la pandémie n’avait pas eu lieu, car nous étions sur une trajectoire de croissance. Mais ce qui est incroyable, c’est que nous dépensions beaucoup en publicité payante, en pub en ligne. Nous avons coupé tous ces budgets surtout parce que nous perdions beaucoup d’argent. Et l’activité est revenue, sans dépenser tout cet argent en publicité. Un vrai choc. Cela signifie une chose importante : nous restons utiles. Il y a un besoin. Les gens veulent se connecter avec des communautés locales, avec des habitants. Et ils pensent à Airbnb même sans que l’on fasse de pub, ils se souviennent de nous.
Andy Serwer :
Est-il possible, Brian, que ce printemps ait été comme un énorme coup dur pour votre compte de résultats ?
Brian Chesky :
Oui, totalement. En fait, quand nous avons démarré Airbnb, c’était un appartement de trois chambres. Le nom d’origine était Air Bed and Breakfast, car ce n’était même pas un vrai bed and breakfast. On gonflait des matelas d’air. Je raconte ça parce que personne ne croyait à notre idée, trois gars qui louaient des matelas gonflables. Nous avons appris à être débrouillards. À faire beaucoup avec très peu d’argent. Ça nous a forgés.
Puis, nous avons eu du succès, levé des milliards. Comme toute entreprise qui grandit, on lance plein de nouveautés car on en a les moyens, il est plus facile de dire oui que non. La crise nous a obligés à dire : nous ne pouvons plus tout faire. Mais cela nous force à nous concentrer sur ce qui fait notre originalité. Oui, nous sommes bien plus focalisés. On verra où tout cela mène. Évidemment, je souhaite que l’activité reparte, et pouvoir embaucher de nouveau ceux à qui nous avons dû dire au revoir. Mais nous devons rester prudents, de possibles secondes vagues sont à prévoir. On navigue à vue.

Andy Serwer :
Je veux aborder un point délicat. Différentes parties prenantes ont exprimé des frustrations. Vous évoquiez les employés, les licenciements. Certains se plaignent des stock-options. Je crois comprendre que cela inclut une date d’expiration. Et puis il y a aussi la situation sur les remboursements, qui a aussi provoqué beaucoup de vagues. Comment avez-vous géré cela et ces problèmes sont-ils, selon vous, en voie de résorption ?
Brian Chesky :
Ce furent deux des décisions les plus difficiles que nous ayons eu à prendre. Si je repense aux trois ou quatre mois de crise, mars, avril, mai, le pic de la tempête, je suis très fier de nos décisions. Je crois que nous avons pris presque toutes les décisions avec rigueur.
La première décision importante concernait les remboursements. Et nous avons commis de grosses erreurs et beaucoup appris. J’assume le fond de la décision. Voici le contexte. Plus d’un milliard de réservations avaient eu lieu sur Airbnb. Du jour au lendemain, confinement mondial : plus de voyages possibles. Beaucoup de pays interdisaient même simplement de prendre l’avion, de franchir une frontière, ou d’aller dans un Airbnb. Et soudain, les clients demandaient des remboursements dépassant un milliard de dollars. Ce n’était pas notre argent. Cet argent reste sur un compte jusqu’à l’arrivée du client, puis nous le reversons à l’hôte. Ce n’est ni à nous, ni à l’hôte, tant que le séjour n’a pas lieu.
Puis, nous conservons environ 15%, et le reste revient à l’hôte. Tout à coup, il a fallu décider : rembourser le client, ou non, et verser l’argent à l’hôte ? C’était très dur : fallait-il choisir le client ou l’hôte ? Je ne voulais pas choisir. Nous avons tranché en faveur de la santé et de la sécurité. Beaucoup de clients nous disaient : « J’ai payé mon Airbnb. Je veux mon argent, sinon je vais vouloir y aller, mais ce n’est pas sécurisé. » Beaucoup d’autorités recommandaient d’éviter tout déplacement, donc nous avons opté pour le remboursement. J’assume ce choix, mais nous n’avons pas assez consulté les hôtes. Cela a été une grosse leçon, ça a été douloureux, et les hôtes étaient très contrariés.
Nous avons donc fait de notre mieux pour rattraper cela. Nous n’avions pas assez d’argent pour compenser intégralement les hôtes, car nous perdions beaucoup de cash. Mais nous avons investi 250 millions de nos propres fonds. Et à ce moment, 250 millions semblait énorme, car on pouvait penser : « vous pouvez toujours lever des fonds », mais à l’époque ce n’était pas sûr du tout : on brûlait de la trésorerie et personne ne voulait prêter à une société de voyage. C’était compliqué, mais nous avons reversé 250 millions aux hôtes. Beaucoup ont apprécié, d’autres trouvaient que ce n’était pas assez. Nous avons fait de notre mieux. Et je défends le fond de la décision, mais sur la forme, nous aurions dû davantage consulter les hôtes. C’était donc le premier point. Voulez-vous aussi qu’on aborde le licenciement ?
Andy Serwer :
Oui, pouvez-vous détailler ce point ?
Brian Chesky :
Oui, le plan de licenciement a été… C’était probablement la décision la plus dure de toute ma vie de chef d’entreprise. Toute notre mission s’appuie sur l’appartenance. Comment dire à près de 2 000 personnes qu’elles ne travailleront plus ici ? C’est très éprouvant. Mais nous avons dû le faire pour deux raisons. Nous ignorions quand les voyages pourraient reprendre. En avril, il était impossible d’imaginer avoir l’activité actuelle. Mais nous savions que quand ils reviendraient, ce serait très différent. L’entreprise aussi avait changé : nous n’avions plus besoin de tous les postes d’avant. Il a fallu aligner les réductions sur notre recentrage business. On a dû réduire l’équipe de 25 %. Notamment dans Luxe, Plus, et autres pôles pour lesquels l’activité s’interrompait.
Mais nous avons posé des principes. Numéro un : ne pas avoir à faire cela deux fois. Si on licencie, autant aller au fond des choses d’un coup. Numéro deux : basez cela sur la nouvelle stratégie. Numéro trois : être aussi généreux que possible. Ne pas regretter de ne pas avoir fait plus. Numéro quatre : attendre d’avoir toutes les informations avant de communiquer. Mais quand on communique, être transparent sur notre raisonnement. C’est ce que nous avons essayé de faire. J’ai donc écrit la lettre, et l’ai diffusée à l’équipe.
J’ai aussi expliqué en détails pourquoi nous en étions là, ce que nous faisions pour les employés. On a vraiment essayé d’accompagner. Aux États-Unis par exemple, 14 semaines d’indemnités, +1 semaine par année d’ancienneté, 1 an de couverture santé. Tout le monde a pu garder son ordinateur portable pour chercher un nouvel emploi. Et chose assez inhabituelle, une part de l’équipe RH a été dédiée à aider les salariés concernés à retrouver un job. Mais surtout, nous avons créé un annuaire en ligne où tous les licenciés pouvaient s’inscrire (préférence LinkedIn, etc.). En une semaine, 300 000 personnes ont consulté ces profils, et j’espère que beaucoup d’entre eux ont vite retrouvé un poste. Voilà notre démarche, mais on ne peut pas se réjouir de cela, seulement se dire qu’on a fait de son mieux.
Andy Serwer :
Je voudrais aussi parler de justice sociale et raciale, des mouvements après la mort de George Floyd, de votre réaction, et de la gestion par le président Trump. D’abord, chez Airbnb, avez-vous fait suffisamment ? Il y a eu des dons, mais faut-il plus de diversité ? Et quelle est votre opinion sur la réaction du président à cette crise ?
Brian Chesky :
Je ne suis pas sûr que si vous posiez la question à 100 PDG : « Avez-vous fait assez pour la diversité ? », quelqu’un dirait oui. Parce que je ne sais pas qui peut prétendre l’avoir fait. Airbnb n’a pas fait assez. Nous devons en faire plus. Je suis fier du travail accompli, mais on vit tous l’histoire en se disant : « Et si on en avait fait encore plus, plus tôt ? » D’ici cinq ans, on se dira sans doute cela à propos de maintenant. Alors j’ai dit à l’équipe : « On peut choisir d’être le miroir de la société telle qu’elle est maintenant, ou dans un an ou cinq ans. » Donc, plus nous serons audacieux, aujourd’hui, moins cela paraîtra exceptionnel pour l’histoire. Si on se contente de ce qui satisfait aujourd’hui, on dira plus tard « Ce n’était pas assez », car ce sujet ne vieillit pas bien. Je pense que nous avons fait des choses courageuses. En 2016, il y avait des cas de discrimination sur notre plateforme. Un hashtag trending sur Twitter : #AirbnbWhileBlack, des voyageurs noirs disaient : « J’ai du mal à réserver sur Airbnb. On me discrimine. » Nous avons alors fait appel à Eric Holder (c’était une première dans la tech) et à Laura Murphy de l’ACLU. Plusieurs années, nous avons mis en place une équipe antidiscimination, attaqué le problème.
Le mois dernier, nous avons annoncé un partenariat avec Color of Change, le principal groupe américain de défense des droits civiques en ligne. C’est leur premier partenariat avec une société technologique. Nous voulions mesurer les biais systémiques sur la plateforme Airbnb. C’est une grande première dont je suis fier. Je pense qu’en interne, nous devons faire plus. Les licenciements ont eu un effet négatif, car nous avons surtout licencié des profils non techniques. Or, il y a moins d’ingénieurs noirs, et donc notre diversité a reculé à cause de cela. Il nous reste beaucoup de progrès à faire.
Nous avons fixé des objectifs : 20% de notre conseil d’administration et de la direction doivent être issus de minorités d’ici la fin de l’an prochain. Nous souhaitons aussi 50% de femmes dans l’effectif, pas seulement 48%. Beaucoup d’initiatives déjà, mais il y a encore énormément à faire. J’espère qu’à notre prochaine discussion je pourrai évoquer nos progrès.
Andy Serwer :
Pour finir, dernière question : sur le président Trump. Vous soutenez les démocrates, vous échangez parfois avec le président Obama. Comment voyez-vous la situation alors que novembre approche ?
Brian Chesky :
J’essaie de ne pas trop intervenir en politique. Nous opérons dans 190 pays. Mon principe général est celui-ci : je m’exprime lorsque cela concerne notre mission ou notre raison d’être. Quand le président Trump a été élu, il a instauré ce que j’ai trouvé être une très mauvaise idée, un travel ban. Chez Airbnb, non seulement nous avons dénoncé cette mesure, car un travel ban va à l’encontre de nos valeurs, mais nous avons aussi dépensé 4 millions de dollars pour acheter une publicité au Superbowl en réaction. Cela paraissait fou, mais nous l’avons fait. Je pense que tout ce qui érige des murs, tout ce qui divise les gens — sauf pour raison réelle de santé et sécurité, mais pas pour des raisons arbitraires — je n’y adhère pas.
Si on regarde la réponse des États-Unis, le mieux est de regarder les 190 pays où nous sommes. Ce sont 190 expériences de gestion de crise. Je pense qu’une bonne coordination est toujours une bonne idée. Je ne serai pas le seul à dire qu’il y a beaucoup d’améliorations possibles. Que va-t-il se passer ? Nul ne le sait. Mais j’ai lu que ce sera l’une des élections les plus attendues de l’histoire récente, et j’espère que les gens iront voter. Voilà tout ce que je peux en dire.
Andy Serwer :
Très bien. Brian Chesky, PDG d’Airbnb. Merci beaucoup pour votre temps.
Brian Chesky :
Merci beaucoup.
Andy Serwer :
Vous étiez sur « Influencers ». Je suis Andy Serwer. À la prochaine.
Thibault Masson est un expert reconnu en gestion des revenus et en stratégies de tarification dynamique dans le secteur de la location saisonnière. En tant que responsable du marketing produit chez PriceLabs et fondateur de Rental Scale-Up, Thibault aide les hôtes et les gestionnaires immobiliers grâce à des analyses concrètes et des solutions basées sur les données. Fort de plus de dix ans d’expérience dans la gestion de villas de luxe à Bali et à Saint-Barthélemy, il est un conférencier recherché et un créateur de contenu prolifique, capable de rendre simples des sujets complexes pour un public international.




