En tant que gestionnaire de locations de courte durée, comment pouvez-vous utiliser les données sur la demande et l’offre pour confirmer ce que vous constatez dans vos réservations ou dans les rues autour de vous ? Comment pouvez-vous également utiliser ces données pour donner du sens à ce que vous entendez de la part d’entreprises comme Airbnb et Booking lorsqu’elles évoquent leurs performances financières ? Pour voir comment utiliser la donnée afin de vérifier ce que l’on voit et entend, utilisons l’exemple du marché européen de la location de courte durée en juillet 2022. Pour ce faire, nous nous appuierons sur le dernier rapport mensuel d’AirDNA et verrons si ses données peuvent expliquer :
- Le sentiment que les villes européennes sont à nouveau remplies de voyageurs venus de toute l’Europe et d’Amérique du Nord.
- Pourquoi les chiffres de la demande chez Booking.com n’ont dépassé ceux du T2 2019 qu’au T2 2022, alors que ceux d’Airbnb étaient déjà supérieurs à ceux de 2019 depuis 2021.
Les rues des villes européennes rappellent à nouveau la tour de Babel
Depuis juin 2022, les rues des villes européennes ressemblent à nouveau à la tour de Babel : si vous vous promenez à Paris, Florence ou Lisbonne, vous pouvez entendre parler une multitude de langues. Les plaques d’immatriculation de divers pays ornent de nouveau les routes et autoroutes européennes : des Allemands aux Pays-Bas, des hollandais et belges en France, des français en Italie et en Espagne, etc. La guerre en Ukraine a ajouté dans le paysage les plaques ukrainiennes aux quatre coins du continent. Enfin, les Américains sont de retour en nombre, aidés par la baisse de l’euro face au dollar (-15 % sur les 12 derniers mois).
À l’aide du rapport d’AirDNA sur l’état de la location de courte durée européenne en juillet 2022, vérifions si certaines de ces impressions anecdotiques sont vérifiables par la donnée. Par exemple :
- Les données montrent-elles que les voyages transfrontaliers et internationaux sont revenus à leur niveau de 2019 ?
- Peut-on voir dans les chiffres que de grands marchés urbains comme Paris et Lisbonne ont rebondi ?
Le voyage international fait son grand retour en Europe, après deux ans de restrictions changeantes
Voici par exemple ce qu’AirDNA rapporte sur la croissance des réservations internationales sur Airbnb au T2 2022 (avril, mai et juin 2022) vs T2 2021 (avril, mai et juin 2021) :
Au T2 2022, la Hongrie, la Grèce et la Croatie ont respectivement enregistré 342,1 %, 116,5 % et 80,4 % de réservations Airbnb supplémentaires effectuées par des voyageurs internationaux d’une année sur l’autre, tandis que les réservations de voyageurs domestiques ont décliné dans ces mêmes pays sur la période comparée.
Les multiples confinements nous semblent lointains, mais souvenez-vous que certains pays ont en réalité ajouté de nouvelles restrictions au printemps 2021. Par exemple, la France a imposé un confinement total du 3 au 29 avril 2021, période durant laquelle il était interdit de se déplacer à plus de 10 km de son domicile. Le couvre-feu en France n’a été complètement levé que le 30 juin 2021. Ainsi, rien qu’avec cet exemple d’une grande destination touristique, on devine que le T2 2021 n’était pas le meilleur trimestre pour les professionnels du voyage en Europe.
Le graphique ci-dessous examine aussi la différence de réservations Airbnb entre T2 2022 et T2 2021. Pour un ensemble ciblé de villes comme Dublin, Florence et Rome, il montre que le nombre de réservations par des voyageurs internationaux a augmenté de 150 % à 800 % par rapport à 2021 (en vert sur le graphique). Il indique aussi que, dans ces villes, le nombre absolu de réservations effectuées par des voyageurs domestiques (ex. les Irlandais à Dublin ou les Italiens à Florence et à Rome) a en fait diminué.
Avec ces chiffres, on trouve des raisons appuyant le ressenti que les villes italiennes sont passées d’un mode monolingue en 2020 et 2021 à un mode multilingue en 2022, avec des arrivées internationales en plein essor : plus de 500 % à Florence, 400 % à Rome et 300 % à Venise, par exemple.
Demande et offre reviennent dans les villes européennes, mais restent en dessous de 2019 dans certains cas
Sur le graphique ci-dessous, AirDNA a compilé les données des 50 plus grands marchés européens. Beaucoup d’entre eux correspondent à de grandes villes. Nous allons donc l’utiliser comme indicateur de ce qu’il se passe dans les marchés urbains.
Concernant la demande, on constate qu’elle a plus que doublé par rapport à 2021 en février, mars, avril, mai et juin. En juillet, la demande n’a “que” augmenté de plus de 50 %. Il faut dire que l’on partait de très bas, vu l’effondrement de la demande urbaine en 2020 et 2021 en Europe. Par exemple, en juillet 2022, la demande totale à Dublin restait toujours 62,7 % en deçà de 2019. Donc, la demande dépasse les chiffres de 2021, mais nous ne sommes pas encore revenus au niveau de 2019 dans nombre de grandes villes.
Même constat pour l’offre : elle restait 29,5 % en dessous de 2019 en juillet sur ces 50 plus grands marchés (indicateur pour les grandes villes). Notez que pour l’ensemble du marché européen, l’offre n’est “qu’à” -4 % de 2019, selon AirDNA. Cela signifie que le nombre d’annonces disponibles a rebondi plus vite hors des villes. L’offre dans le top 50 n’a recommencé à croître qu’en mai 2022, mais l’accélération est notable.
La société européenne Booking.com rebondit beaucoup plus tardivement qu’Airbnb l’américaine
En étudiant les résultats financiers de Booking.com et Airbnb, il est frappant de noter que les chiffres de la demande chez Booking.com n’ont dépassé 2019 qu’au T2 2022. Il a donc fallu deux ans à la société pour retrouver le volume de nuitées réservées de 2019. Pendant ce temps, Airbnb avait déjà franchi ce cap dès 2021. Airbnb n’a pas eu à attendre 2022. Les données AirDNA peuvent-elles nous éclairer à ce sujet ?
Il n’est pas secret que l’offre et la demande de Booking.com sont fortement dominées par l’Europe. C’est particulièrement vrai pour l’offre de locations de courte durée. Côté consommateurs, Booking.com n’est pas vraiment connu aux États-Unis, malgré des dépenses publicitaires comme une pub au Superbowl il y a quelques mois. Booking.com a aussi peiné à attirer des hôtes américains, sa plateforme ne proposant que récemment des fonctions clés comme l’assurance responsabilité civile.
De son côté, avant la pandémie, Airbnb avait presque réussi à équilibrer ses marchés US et européens : en 2019, l’Amérique du Nord représentait 41 % du chiffre d’affaires d’Airbnb, tandis que l’Europe, l’Afrique et le Moyen-Orient (EMEA) représentaient 40 % (cf. prospectus IPO Airbnb).
Donc, ce qu’il se passe en Europe influence encore plus Booking.com qu’Airbnb. Par exemple, la demande locative est revenue bien plus vite aux États-Unis qu’en Europe. On le constate en comparant deux graphiques AirDNA sur la demande US et Europe. Comme on peut le voir ci-dessous, la demande a dépassé 2019 dès avril 2021 aux États-Unis. Tandis que, côté Europe, il a fallu attendre janvier 2022, soit 9 mois plus tard.
La demande locative US dépasse les niveaux de 2019 dès avril 2021
La demande locative européenne dépasse 2019 à partir de janvier 2022
Ce graphique illustre pourquoi Airbnb, plus forte aux États-Unis que Booking.com, connaît une hausse des réservations plus précoce et plus marquée dès 2021.
Côté offre, comme noté plus haut, le nombre d’annonces progresse de nouveau, mais seulement depuis mai 2022. L’accélération est nette, avec +19,2 % d’offre en juillet 2022 vs juillet 2021. Cela peut expliquer pourquoi Booking.com déclare observer une forte hausse du nombre d’ajouts d’annonces. Booking.com a vu, au T2 2022, « la plus forte hausse séquentielle nette d’hébergements alternatifs depuis 2019 ». La société affiche désormais 6,6 millions d’annonces d’hébergement alternatif, dont environ 2/3 de locations de courte durée.
Thibault Masson est un expert reconnu en gestion des revenus et en stratégies de tarification dynamique dans le secteur de la location saisonnière. En tant que responsable du marketing produit chez PriceLabs et fondateur de Rental Scale-Up, Thibault aide les hôtes et les gestionnaires immobiliers grâce à des analyses concrètes et des solutions basées sur les données. Fort de plus de dix ans d’expérience dans la gestion de villas de luxe à Bali et à Saint-Barthélemy, il est un conférencier recherché et un créateur de contenu prolifique, capable de rendre simples des sujets complexes pour un public international.








