Accro à la vente de chambres d’hôtel à prix réduit, Booking.com peut-elle vraiment résoudre ses problèmes d’offre et de demande de locations saisonnières aux États-Unis ? (Résultats Q2 de Booking Holdings)

À la lecture des tout derniers résultats financiers du deuxième trimestre 2021 de Booking Holdings, l’agence de voyages en ligne Booking.com confirme son image de plateforme de voyage en pleine reprise, avec des offres, promotions et programmes de fidélité alignés pour offrir aux voyageurs les tarifs d’hôtel les plus bas. Toutefois, lorsqu’il s’agit de locations saisonnières, la situation se complique. Par exemple, les responsables de Booking.com reconnaissent qu’il faudra du temps pour réussir sur le marché américain. Ils estiment que la proposition de valeur de Booking.com n’est pas encore prête à attirer suffisamment d’offre ni à justifier des investissements marketing conséquents. Pourtant, la société cible activement les gestionnaires immobiliers professionnels sur des marchés clés, allant jusqu’à annuler 100 % de la commission pour ces partenaires. Quant aux tactiques de Booking.com pour proposer les meilleures offres aux voyageurs, elles ne sont pas encore pleinement adaptées au secteur de la location saisonnière. Par exemple, la société s’apprête à lancer ses Offres Flash, qui permettront aux voyageurs d’obtenir une réduction de 30 % ou plus sur certaines chambres et tarifs dans des établissements participants. Cela a du sens pour les hôtels des grandes villes pendant la pandémie, mais, aux États-Unis, où beaucoup de marchés de locations saisonnières sont en manque d’offre, baisser les prix à la mi-août n’est pas toujours pertinent.

Booking.com reste toutefois un concurrent redoutable pour Airbnb et Expedia. L’OTA commence à se remettre de la pandémie de COVID-19. Cependant, comme nous allons le voir ci-dessous, elle ne profite pas de l’état d’esprit « meilleure année jamais vue » que bon nombre de sociétés de gestion de locations saisonnières américaines connaissent. En réalité, même les chiffres des hébergements alternatifs de Booking.com stagnent au mieux par rapport à 2019.

Booking.com, une OTA en mode reprise

Reprise financière

T2 2021 T2 2020
REVENUS
Revenus d’agence 1 328 357
Revenus marchands 661 245
Revenus publicitaires et autres 171 28
Total revenus 2 160 630
DÉPENSES
Dépenses marketing 988 211
Ventes et autres dépenses 206 131
Personnel 686 452
Général et administratif 134 104
Technologies de l’information 93 70
Amortissement 108 112
Restructuration et autres frais de sortie 1 34
Total des dépenses opérationnelles 2 216 1 114
Perte opérationnelle (56) (484)
  • Comparé à 2019, les nuitées du T2 ont baissé de 26 %, ce qui est bien meilleur que la baisse de 43 % rapportée précédemment pour le mois d’avril et la baisse de 54 % du T1. -> Solide sur les hôtels et les villes, Booking.com ne profite pas du “meilleur cru jamais vu” dont témoignent les sociétés de gestion de locations saisonnières aux États-Unis. Rien de grave au final : les actualités du secteur de la location saisonnière reflètent souvent la situation aux États-Unis davantage qu’en Europe, donc les attentes diffèrent.
  • La machine commerciale et marketing de Booking.com redémarre : Les dépenses associées sont passées de 342 M$ au T2 2020 à 1 194 M$ en 2021. Booking.com est réputée pour son marketing à la performance, notamment sur Google PPC. Cependant, comme nous le verrons plus loin, une partie de ces dépenses concerne aussi les remises accordées pour attirer des voyageurs et des hébergeurs (par exemple, exonération de commission pour des sociétés américaines ciblées).
  • Les marges commerciales de Booking.com ((1- ventes & marketing) / revenus) restent formidables, à 55 %.
  • Bien que Booking.com ait réduit ses effectifs de 25 %, les frais de personnel ont augmenté. L’une des raisons tenait au fait que l’entreprise a dû rembourser au T2 2021 l’intégralité des 65 M€ d’aide reçue du gouvernement néerlandais en 2020 après que l’on a appris que Booking Holdings avait accordé 28 M€ de rémunération à trois de ses membres du conseil.

L’industrie du voyage considère toujours Booking.com comme une machine à cash redoutable. Par exemple, dans sa stratégie SPAC, Vacasa utilise Booking.com comme entreprise comparable avec des marges alléchantes. Les données sont à prendre avec précaution, mais Vacasa estime que les marges brutes 2022 pourraient ressembler à cela :

  • Vacasa : 52 %
  • Airbnb : 78 %
  • Booking.com : 98 %
vacasa vs airbnb vs expedia vs booking

Toujours en tête en trafic web et téléchargements d’app, mais pas n°1 sur tous les marchés clés

En termes de trafic web, Booking.com devance à nouveau Airbnb, selon Google Trends. Pendant le creux de la crise COVID-19, Airbnb a pu compter sur sa marque, son entrée en bourse et ses opérations de RP pour continuer à générer du trafic, tandis que Booking.com a presque arrêté toutes dépenses marketing et ne pouvait pas autant s’appuyer sur sa force de marque, notamment aux États-Unis. Pourtant, la tendance s’inverse, alors que Booking.com redéploie ses muscles marketing.

Rental Scale-Up recommends Pricelabs for Short Term Rental Dynamic Pricing

À l’échelle mondiale, Booking.com redevient le site le plus recherché parmi les grandes OTAs et sites d’annonces de locations saisonnières (hors concurrents chinois), selon Google Trends.

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Sur le grand marché allemand, Booking.com reste n°1. (Notez que la marque de Vrbo est FeWo Direkt en Allemagne).

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Toutefois, au Royaume-Uni et en France, Airbnb est devant. Et, sans surprise, également aux États-Unis. Notez que depuis le début 2021, Airbnb a fortement investi dans des publicités TV et Youtube dans ces pays. Ce n’est pas forcément le seul facteur explicatif, mais la campagne a au minimum renforcé une tendance pré-existante à la faveur d’Airbnb.

Royaume-Uni

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France (notez que la marque de Vrbo est Abritel en France)

abritel vs booking vs airbnb

États-Unis

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Ce n’est pas qu’une question de site web. Booking.com investit lourdement pour inciter les voyageurs à télécharger son app. Comme nous allons le voir, l’entreprise est prête à subventionner les voyageurs jusqu’à 200 € (230 $) en crédits voyages pour toute réservation via son application (« Campagne Welcome back to travel »). Voici ce qu’en dit Glenn Fogel, CEO de Booking Holdings, à propos de l’app :

À l’échelle mondiale, au T2, Booking.com était l’app OTA la plus téléchargée selon un cabinet indépendant. Aux États-Unis, au T2, nous étions l’app OTA majeure la plus téléchargée, les téléchargements de l’app Booking.com au deuxième trimestre ayant fortement augmenté d’un trimestre à l’autre.»

Autres sujets notables hors locations saisonnières

Lors de la publication des résultats de Booking Holdings pour T2 2021, il a aussi été question de la création de l’unité commerciale FinTech by Booking, de la quête de Booking.com pour le « voyage connecté », ainsi que de la situation difficile du voyage en Asie. Agoda est la marque la plus exposée à l’Asie au sein de Booking Holdings. Pourtant, la Chine était curieusement absente de l’appel : alors que le voyage a rebondi en Chine, Booking.com et Agoda y sont faibles et le groupe passe à côté d’une grande opportunité.

Locations saisonnières : Booking.com, toujours pas complètement impliquée ?

Vu sous l’angle du secteur de la location saisonnière, les problèmes de fond de Booking.com ne semblent pas près d’être résolus :

Problèmes :

  • Booking.com a raté la vague de la location saisonnière aux États-Unis. Il semble que Booking cible désormais les gestionnaires professionnels américains et soit prête à subventionner massivement sa pénétration du marché, par exemple en supprimant sa commission de 15 %.
  • Booking.com cherche avant tout à proposer le prix le plus bas possible à ses utilisateurs. En conséquence, la société a mis en place bon nombre de schémas de rabais très efficaces pour vendre des chambres d’hôtel. Or, puisque ces schémas sont en général standardisés et non adaptés aux spécificités des locations saisonnières, la société tend à déployer programmes, avantages et remises pertinents pour les hôtels, mais pas forcément pour d’autres types de biens. Par exemple, le programme fidélité Genius promet aux voyageurs des avantages comme petit-déjeuner inclus ou surclassement de chambre, ce qui n’a aucun sens pour des logements indépendants. De même, à l’été 2021, subventionner les réservations d’hôtels en ville avec un crédit voyage allant jusqu’à 200 € a du sens, mais demander aux gestionnaires de louer des « offres flash » en plein mois d’août, dans des destinations saisonnières très demandées où la disponibilité est faible, ne l’a pas.

Booking.com a manqué la montée en puissance de la location saisonnière, surtout aux États-Unis, où le CEO reconnaît que les solutions prendront du temps

La demande pour les locations saisonnières explose. Alors pourquoi la part des locations (vs hôtels) vendues sur Booking n’augmente-t-elle pas beaucoup ?

Le fournisseur de données AirDNA suit aux États-Unis des niveaux d’enregistrement record mois après mois depuis janvier 2021 :

L’industrie de la location courte durée aux États-Unis a connu un autre mois solide, avec un taux d’occupation à un pic historique de 70,2 % en juin 2021, soit 20 % de plus qu’en juin 2019. C’est la première fois que les États-Unis dépassent 70 % d’occupation moyenne.

Ce gain d’occupation est attribué à une hausse de la demande : augmentation de 9,2 % par rapport à 2019 (+33,8 % vs 2020).

Contrastons avec ce qui a été évoqué lors de la présentation des résultats Q2 2021 de Booking Holdings :

En juin, notre croissance des nuitées pour les hébergements alternatifs est stable par rapport à juin 2019, c’est la première fois que l’on retrouve les niveaux de 2019 pour ce segment depuis le début du COVID.

Pourquoi donc les chiffres globaux de Booking.com en hébergements alternatifs sont-ils bien moins impressionnants que ce que la dynamique américaine laisserait penser ? Plusieurs raisons possibles :

  • Géographie : Booking.com est faible tant en offre de locations saisonnières qu’en génération de demande aux États-Unis. Alors que le marché US explose, de grands marchés européens dépendants des voyageurs internationaux (par ex. Croatie, Espagne, Portugal) peinent encore.
  • Pas tous les types « alternatifs » sont en boom : “hébergements alternatifs” regroupe maisons de vacances, chalets, appartements urbains, B&B, chalets de montagne. Ce qui signifie qu’en interne, certains types de biens et emplacements marchent moins bien. Par exemple, l’offre Booking.com même en Europe, reste axée sur les villes. Au T2 2021, touristes et business travelers étaient peu intéressés par la location d’un petit appart à Paris, Chicago, Londres ou Sydney. Idem pour les bed and breakfasts, longtemps fer de lance de Booking.com en alternatifs : avec la pandémie, l’idée de partager le petit-déjeuner avec des inconnus est peu attrayante.

L’offre de locations saisonnières de Booking.com stagne-t-elle ?

« Au deuxième trimestre, nous avons constaté la première hausse séquentielle du nombre de propriétés sur Booking.com et le plus faible nombre de biens retirés de notre plateforme sur un trimestre depuis le début de la pandémie. Au 30 juin, nous comptions plus de 28 millions d’annonces actives sur Booking.com, dont 6,6 millions d’hébergements alternatifs

Regardons les données déjà partagées par Booking.com :

  • 30 juin 2021 : 28 millions d’annonces, dont 6,6 millions d’hébergements alternatifs.
  • T3 2020 : “Nous avons plus de 6,5 millions d’annonces alternatives.”
  • Avril 2019 : “Booking.com propose plus de 28 millions d’annonces”.
  • Décembre 2018 : “avec 5,7 millions d’annonces déclarées dans le segment ‘hébergements alternatifs’”.

Les chiffres sont plats, mais peuvent masquer autre chose : l’entreprise recrute de nouveaux hébergeurs à mesure que d’autres quittent ou deviennent indisponibles sur la plateforme. C’est ce qui se passe par exemple pour Airbnb au Royaume-Uni selon ce graphe AirDNA : le nombre d’annonces disponibles reste stable.

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Il est important de distinguer entre hard churn et soft churn :

  • Hard churn : les propriétaires retirent leur annonce définitivement
  • Soft churn : les propriétaires ferment leur calendrier sur la plateforme (par exemple pour privilégier les réservations en direct). Ils peuvent le rouvrir hors saison et redevenir actifs.

Booking.com aux États-Unis : Proposition de valeur inférieure –> Offre faible –> Pas de budget marketing –> Peu de réservations

Booking.com n’a pas acheté assez de trafic aux États-Unis pour générer des réservations et satisfaire ses partenaires. Notamment en domestique. Ce qui a rendu les autres gestionnaires hésitants à rejoindre une plateforme coûteuse, complexe, peu génératrice de bookings.

Booking.com choisit volontairement de ne pas acheter beaucoup de trafic pour les États-Unis, devant d’abord améliorer sa proposition de valeur sur plusieurs aspects avant d’affronter Vrbo et Airbnb.

Autre problème : la proposition de valeur de Booking.com aux États-Unis est plus faible que celle d’Airbnb ou Vrbo :

  • L’extranet Booking.com peut sembler compliqué et trop orienté hôtel pour les gestionnaires immobiliers
  • Aux États-Unis, les solutions de paiement de Booking.com sont coûteuses et confuses (d’où la création de l’unité FinTech by Booking)
  • La marque Booking.com est moins connue des gestionnaires et voyageurs américains (Comparez la présence télé/web de Vrbo et Airbnb avec les campagnes quasi inexistantes de Booking.com).
  • Booking.com a la réputation d’apporter des voyageurs internationaux dans les hébergements US (par exemple des Européens à Orlando ou des voyageurs du Moyen-Orient à Los Angeles). Mais pas de clients domestiques, à une période où les voyages internationaux sont réduits.
  • Booking.com ne bénéficie pas des liens de Vrbo avec des gestionnaires pro, facilités par Escapia, un PMS leader détenu par Expedia Group et intégré à Vrbo.

Lors des résultats T2 2021, CEO et CFO ont été clairs : Booking.com n’investit pas dans le trafic sur des destinations à faible offre. D’autant que le produit (i.e. tout ce qui précède) n’est pas prêt.

Avant de dépenser beaucoup en campagnes de marque, il faut s’assurer que son produit est prêt. Et c’est ce que nous cherchons à faire notamment en hébergement alternatif aux États-Unis : s’assurer que notre produit est à la hauteur pour ce marché.

« Cela prendra du temps » pour monter l’offre et la demande en location saisonnière chez Booking.com aux USA, car la proposition de valeur n’est pas prête

Non seulement Booking Holdings reconnaît que le produit n’est pas prêt, mais aussi que l’offre est trop faible pour justifier l’investissement en performance marketing (Google PPC, méta-moteurs, affiliation).

« Ça va être un long processus pour constituer l’offre US toutes catégories d’hébergements alternatifs confondues, que ce soit en gestion professionnelle ou en propriétaires individuels. Il faudra du temps pour arriver à ce que nous voulons. C’est un objectif que l’on poursuit activement, avec des équipes sur le terrain, du contact direct, de la pédagogie sur nos atouts. Je suis convaincu qu’on y arrivera.

« Quand on examine nos résultats en Europe, la part de l’alternatif, on se dit que c’est l’objectif à viser aux US aussi. Il n’y a pas de raison qu’on n’y arrive pas : les clients sont similaires, la proposition aussi, mais cela prend du temps. »

Le marché US des locations saisonnières explose hors grandes villes. Une grande partie des réservations arrive directement chez les gestionnaires, qui ont fermé leur calendrier sur les OTA pour garder plus de ventes en direct.

Comme Booking.com est une OTA peu présente sur la location saisonnière US, elle a peut-être raté le boom.

Ce que Booking.com ne ferait jamais : utiliser l’espace web & app pour promouvoir une catégorie émergente, comme le fait Airbnb avec ses « logements uniques »

Booking.com est une machine technique et financière impressionnante. Elle ne dépense que si elle est certaine d’en tirer beaucoup de profit. Les SPAC ont beau être à la mode, certains actionnaires privilégient les bénéfices concrets.

Cela rend difficile pour Booking.com de s’implanter sur de nouveaux marchés (par ex. les USA), nouveaux types d’hébergement (locations saisonnières), nouvelles catégories (vols d’avion, etc.). C’est possible, mais lent. Et avec le risque de se faire disrupter, comme ce fut le cas avec Airbnb.

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Preuve par l’exemple : actuellement, Airbnb, comme nous l’avons analysé dans notre étude détaillée sur la recherche flexible d’Airbnb, utilise son espace digital pour promouvoir le bouton « Je suis flexible ». Un clic y conduit vers des logements uniques, types cabanes, yourtes, bateaux, et même des îles privées.

Évidemment, Airbnb n’a pas beaucoup de ces logements et ne s’attend pas à de nombreuses conversions directes. Cependant, c’est une tactique d’inspiration qui aide le voyageur à rêver à son prochain séjour et lui fait découvrir des types de logements originaux. Même si Airbnb finit par vendre un séjour en appartement, au moins le prospect a été exposé à de nouveaux types d’hébergements et à l’image de marque qu’Airbnb souhaite.

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Booking.com ne ferait jamais ça. Au contraire, dans ses espaces web/app, elle met en avant ses catégories best-sellers et à forte conversion : hôtels, appartements, resorts, villas. Rien d’original, mais cela génère du booking.

Booking.com est une marque transactionnelle qui promet les plus bas prix et un large choix. Envoyer du trafic vers des logements atypiques, en courte disponibilité, au seul bénéfice de sa notoriété, n’est pas dans son ADN. Ce n’est ni bien ni mal. C’est la méthode Booking.com, constante. Cela complique ses futures implantations, mais là où c’est possible dans le présent, la rentabilité prime.

Pour casser le cercle vicieux aux USA, Booking.com mise sur les grands gestionnaires de biens. Mais elle a besoin de leur coopération et de leur disponibilité réelle d’annonces.

Puisque de grands gestionnaires américains dominent certains marchés, il est logique de commencer par eux. Après tout, 33 % du CA d’Airbnb viendrait des gestionnaires moyens/grands.

Booking.com a choisi d’attirer les gestionnaires moyens et grands, car la faible notoriété de sa marque, des outils hosts peu intuitifs (“extranet”), une commission de 15 % à la charge de l’hôte, et les problèmes de paiement rendent son offre moins attractive qu’Airbnb pour l’instant.

Ce que confirment les propos du CFO et CEO lors de la publication des résultats :

“Sur le secteur de l’alternatif aux États-Unis, Booking.com a continué d’ajouter de nouveaux biens ciblés et a aussi noté de bons progrès auprès de grands gestionnaires professionnels. Même si ce sont des signaux positifs, il reste beaucoup à faire pour améliorer et développer notre produit alternativ’ sur ce marché US.”

« Côté hébergements alternatifs, nous sommes contents de gagner en inventaire. Nous gagnons un peu de parts avec certains gestionnaires professionnels, ça avance bien.»

Cibler les grands gestionnaires est pertinent. Dans des destinations populaires (côtes, montagnes), comme Destin (Floride) ou Gatlinburg (Tennessee), ce sont les gestionnaires pros qui pèsent. Comme illustré ci-dessous, Vacasa (n°1 US) gère 47 % des annonces Airbnb et 24 % sur Vrbo à Destin. Si Booking.com attire Vacasa, elle couvre l’essentiel de l’offre sur ces marchés. (et Booking.com collabore déjà avec Vacasa).

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Les grands gestionnaires ne sont pas puissants que sur Booking.com et Vrbo. Selon AirDNA, les moyens/grands gestionnaires représentaient 33 % du CA Airbnb en 2021.

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Cibler les grands dans les destinations clés semble donc judicieux. C’est aussi indispensable pour faire fonctionner l’effet « flywheel » du modèle Booking.com.

Le succès Booking.com se fonde sur un modèle pensé pour l’hôtellerie de ville :

booking.com flywheel business model
  • Booking.com repère les villes à forte concentration hôtelière. L’intérêt : un bien = plusieurs chambres, donc plusieurs réservations / nuit.
  • Les grandes villes justifient d’avoir des account managers locaux pour contracter les hôtels à 15-17 % de commission, négocier pour leur clientèle des remises guest (programme fidélité Genius) ou frais supplémentaires (+3 % pour être Preferred).
  • Avec tant d’établissements rentables, Booking.com peut acheter du trafic Google (PPC).
  • Booking.com augmente peu à peu ses investissements Google, génère toujours plus de bookings. Marge commerciale de plus de 50 % après ventes (account managers) et marketing (Google PPC), ce qui en fait une formidable machine à cash.
  • Avec de telles marges, Booking.com peut choisir d’écraser ses marchés clés en surenchérissant encore sur le trafic acheté.

Le flywheel Booking.com fonctionne mal avec les propriétaires individuels de locations

booking.com business model vacation rentals

Certains facteurs clés présents sur l’hôtellerie font défaut sur de nombreux marchés de location saisonnière (campagne, montagne, mer, périurbain).

  • Trop cher d’embaucher des account managers pour démarcher des propriétaires un à un. Les équipes privilégieront toujours resorts, hôtels, apparts-hôtels générant des réservations multiples plutôt qu’un particulier avec une seule annonce.
  • Beaucoup de propriétaires américains ne connaissent pas Booking.com et hésitent à payer 15 % de commission quand Airbnb est à 3 %.
  • Le flywheel Booking.com fonctionne pour les mots-clés “type de bien + destination” : hôtels à Austin, bed & breakfast à Boston. Quand il y a peu d’annonces, réparties sur des dizaines de petites communes, justifier un achat Google positif en ROI est difficile.
  • Comme Booking.com ne pousse pas sur ces destinations, les propriétaires/gestionnaires pensent que la plateforme n’est pas efficace et quittent la plateforme, ou y restent mais favorisent les autres OTAs.

Les grands gestionnaires dans les marchés denses pourraient détenir la clé pour Booking.com aux USA… s’ils coopèrent et rendent leur stock vraiment disponible.

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Comme on l’a vu lors de l’analyse de la stratégie Vacasa pour dominer l’offre localement aux USA, certains marchés sont assez denses pour justifier l’achat de trafic par Booking.com.

Exemple : Destin (Floride) est dominée par Vacasa, qui distribue ses biens sur Airbnb, Booking.com et Vrbo (et autres).

Les grandes entreprises de gestion de biens correspondent au modèle d’origine de Booking.com :

  • Elles sont assez grosses pour qu’on leur alloue un account manager
  • Booking.com peut collaborer avec chacun pour cibler ensemble les marchés où investir dans du trafic (marché dense identifié avec disponibilité réelle garantie par le gestionnaire)

Cependant, certaines limites demeurent, inhérentes à la location saisonnière :

  • Contrairement à l’hôtellerie, chaque bien ne peut générer qu’une seule réservation par nuit
  • À l’été 2021 aux USA, la demande était si forte que certains gestionnaires préféraient garder les biens dispo pour leurs réservations directes.
  • Ainsi, même si Booking.com a des annonces dans certaines zones prisées, la disponibilité reste limitée. Ou les gestionnaires réservent Booking.com à leurs biens les moins attractifs (plus de restrictions propriétaires : séjour 7 nuits min., arrivée samedi, frais annexes, etc.).
  • Ces acteurs ne seront satisfaits que si Booking.com achète du trafic pour stimuler la demande domestique là où ils pèsent. D’où l’importance d’une forte coordination gestionnaire/Booking.

Travailler avec les grands est donc logique, mais ils sont aussi les plus chevronnés du marché. Les techniques d’influence de Booking.com pour obtenir politique flexible/discounée marchent moins bien pour des pros capables de transférer leurs stocks d’une OTA à une autre en quelques clics.

Comment attirer de nouveaux grands gestionnaires

Les gros américains, comme Vacasa et VTrips, travaillent avec Booking.com. Il faut maintenant attirer d’autres sociétés moyennes à grandes. Problème : Booking.com est présente aux USA depuis des années et la majorité des prospects a été démarchée plusieurs fois. Plusieurs raisons pour ne pas signer : problèmes paiements/litiges, commission élevée, peu de demande domestique, réservation instantanée, etc.

D’après plusieurs sources locales, Booking.com a convaincu plusieurs gestionnaires avec une offre agressive consistant à baisser fortement sa commission host-only de 15 %. Une source explique que la plateforme annule même totalement la commission durant plusieurs mois pour les nouveaux entrants.

Aider les grands à renforcer leur position locale permet à Booking.com de sortir du cercle vicieux dans lequel la plateforme stagnait depuis des années. C’est aussi une arme à double tranchant car les grands préfèrent générer du direct et imposent plus de restrictions sur les bookings OTA.

Pourquoi la machine à deals Booking.com reste mieux calibrée pour les hôtels que pour la location saisonnière

Booking.com veut offrir les meilleurs prix sur le choix le plus large d’hébergements possible. Ses programmes de remises et fidélité sont historiquement nés autour de l’hôtellerie, soit parce que l’enseigne était alors focalisée sur l’hôtel (ex : Genius), soit parce que les chambres invendues sont plus facilement “commoditisées” et leurs tarifs flexibles que les locations saisonnières.

Booking.com est une machine performante pour négocier deals et perks auprès de ses partenaires en échange d’une promesse de plus de visibilité et réservation. Mais les mécanismes sont souvent centrés sur l’hôtel. Par conséquent, ils sont moins efficaces pour booster les locations saisonnières, ce qui amène à une reprise moins forte que pour l’hôtellerie sur la plateforme, alors qu’on pouvait s’attendre à l’inverse.

1/ Genius : Si tout le monde est Genius, que vaut encore le club ? Comment offrir petit-déj ou surclassement en location saisonnière ?

Genius est le programme fidélité de Booking.com. Son objectif : fidéliser le voyageur à Booking.com, non à l’hébergement.

Jusqu’à peu, il fallait avoir un compte créé + 5 séjours complétés pour devenir Genius. Booking.com incitait alors les partenaires à “devenir Genius”, car ces voyageurs étaient censés réserver plus et annuler moins (ce qui s’auto-entretient car Genius incite lui-même à réserver/réduire l’annulation via des tarifs -10 %).

Mais Genius a changé : il existe désormais 3 niveaux et il est moins difficile d’y accéder :

  • Niveau 1 : Tout utilisateur ayant créé un compte Booking.com
  • Niveau 2 : 5 séjours ou plus complétés sur les 2 dernières années (ancien seuil)
  • Niveau 3 : 15 séjours ou plus complétés sur 2 ans

Côté partenaires :

  • Pour cibler les guests Niveau 1 : Tous les partenaires Genius accordent 10 % de remise obligatoire sur au moins un tarif
  • Pour cibler Niveau 2 :
    • Remises : 5 % supplémentaires sur le tarif -10 % de base
    • Avantages comme petit-déjeuner inclus ou surclassement
  • Pour cibler Niveau 3 : proposer 20 % de remise Genius totale

Genius s’est complexifié, mais reste mal adapté à la réalité de la location saisonnière :

  • Niveau 1 : De nombreux loueurs n’ont qu’un tarif unique sur Booking.com, comme sur Vrbo/Airbnb. Les revenue managers hôteliers gèrent facilement des grilles, mais pas les loueurs ni gestionnaires saisonniers. Ainsi, accorder 10 % de baisse revient à minorer le prix de 10 % sur tout le stock.
  • Niveau 2 : Offrir petit-déj ou surclassement n’a aucun sens dans la location saisonnière. Les aparthotels ou resorts de villas peuvent, au prix de logistique, proposer un surclassement, mais ce n’est pas praticable pour des gestionnaires indépendants.

2/ Offres flash : Idéal pour hotels, bien plus compliqué à gérer pour la location saisonnière

Booking.com lance mi-août une nouvelle promo : les Offres Flash Booking.com.

  • Offres flash tous les quinze jours, à dates fixes, pour 36 heures seulement.
  • Pendant ce créneau, les voyageurs ont au moins 30 % de réduction sur certains tarifs/chambres de biens participants.
  • On peut réserver à ces tarifs réduits pour n’importe quelle date du 1er août 2021 au 13 août 2022.

Les Offres Flash sont des ventes événementielles. Leur structure semble plus optimisée hôtels que la location saisonnière :

  • En location saisonnière, le bien est souvent configuré comme une seule “chambre” côté extranet Booking.com, donc accorder -30 % sur des “chambres sélectionnées” = solder la totalité du bien à chaque fois.
  • Les hôtels urbains ont besoin de telles promos mi-août, mais c’est douteux pour la location saisonnière où la demande explose déjà et l’offre est rare (ex : USA). Demander à ces loueurs de solder à la mauvaise période, avec un modèle standard, peut sembler déconnecté.

Conclusion : Airbnb et Vrbo ont profité de la pandémie pour muscler leur marque location saisonnière et gagner de nouveaux clients. Booking.com semble ne pas avoir su profiter du boom américain. L’entreprise prend des initiatives plus audacieuses, mais « cela prendra du temps ».

Au final, la formidable machine technique et financière de Booking.com amorce la reprise. La société applique sa stratégie d’achat de trafic uniquement là où l’offre est adaptée, ce qui signifie que certains gestionnaires US déjà en ligne devront patienter avant de voir les bookings arriver.

L’approche Booking favorise le prix bas, encouragée par des mécaniques promo pensées pour l’hôtellerie urbaine à chambres nombreuses plus que pour la location saisonnière. Genius a désormais 3 niveaux et reste difficilement adapté au court-terme.

Enfin, Vrbo et Airbnb ont profité de la pandémie pour créer des campagnes publicitaires consacrées aux locations rurales ou côtières, mieux adaptées à la distanciation que les hôtels urbains. Booking.com, elle, a choisi de stopper ses budgets marketing pour traverser la crise et attendre l’amélioration. Il est aussi possible qu’il eût été inimaginable pour Booking.com de promouvoir audacieusement son offre location saisonnière, la société étant largement focalisée sur l’hôtellerie.